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    Les Igdalen

    Les Igdalen seraient présents dans l'Ighazer depuis la fin du VIIIè siècle ou le début du IXè siècle, et sont considérés comme les Berbères les plus anciennement installés dans l'Ighazer. Ils appartiennent aux Kel Aïr sous l'autorité directe du Sultan d'Agadez. Ce sont des populations nomades d'origine Berbère, dont les us et coutumes sont similaires à celles des Kel Tamasheq, mais ils gardent entre eux un parlé spécifique à base Songhay, la Tagdal, proche de la Tasawaq des sédentaires d'In Gall. Ce sont des gens pacifiques, pieux, qui ne portent pas les armes et se mettent le plus souvent sous la protection de tribus Imajeren ou Imrad pour les défendre.


    De l’Agdal

    igdalen palanquinAgdal, plur. Igdalene : désigne l’emplacement réservé qui jouit d’une protection particulière lui conférant un caractère analogue à celui d’une zaouïa. L’agdal désigne aussi la période de la mise en défens de la forêt qui correspond à la période de la maturation de l’arganier (Faouzi 2013).
    Dans son dictionnaire kabyle-français, Huyghe décrit le terme agdal comme le singulier de Igdalen qui signifie « endroit réservé au pâturage » (Huyghe 1901). L’agdal pastoral, puisqu’il y a différent type d’agdal, est un pâturage commun soumis à des mises en défens saisonnières. C’est une pratique de gestion communautaire reposant sur la protection de ressources spécifiques au sein d'un territoire délimité. Les mises en défens, le plus souvent saisonnières, interviennent à des moments clés du cycle biologique des plantes. Une des caractéristiques essentielles de l'agdal est l'alternance de période d'ouverture et de fermeture du territoire (Auclair 2012). Cette pratique est le plus souvent dirigée par un lignage, comme le note Auclair au Maroc où elle est particulièrement représentée et diversifiée. Mais on l’a rencontre très certainement dans tout le Maghreb et au Sahara en continuité avec le monde berbère.

    Auclair fait remonter cette pratique au moins aux débuts de l’islam, puisqu’on en a des traces écrites, mais nous emmènent à penser qu’elle serait bien plus ancienne, faisant référence aux Gétule habitant le Sahara occidental et obligés de se replier sur l’Atlas marocain lors de la péjoration climatique vers 2500 BCE. L’émergence de cette pratique aurait alors permis une meilleure gestion des ressources naturelles en forte dégradation et raréfaction. Elle aurait disparu dans le désert du Sahara occidental et se serait perpétuée dans les alpages Marocains (Auclair 2012).

    Durant la période romaine, la construction du Limes vers IIè et IIIè siècle de notre ère, ne doit pas être vu comme une frontière hermétique. Les romains laissés passer les populations restées fidèles à leur mode de vie traditionnel fondé sur l’élevage extensif. Ceci souligne déjà une circulation saisonnière des hommes et des troupeaux sur les territoires de la Gétulie. Pour Trousset, c’est finalement plutôt en termes de surveillance des courants de circulation qu’il convient d’interpréter le limes. Placés en des lieux où semi-nomades et transhumants se concentraient, ces barrières permettaient d’en réguler le flux en le canalisant vers les principaux passages obligés de la zone frontière. Un tel contrôle pouvait avoir pour but de faire respecter le calendrier des récoltes pour les troupeaux transhumants, mais aussi d’exercer une taxation douanière sur les marchandises transportées vers les marchés périodiques situés dans la zone de contact entre unités naturelles d’économies complémentaires (Trousset 2012).

    Plusieurs auteurs rapprochent la racine berbère GDL (agdal/igdalen) des Gdala/Gedula, les berbères Gétule anté-islamiques (Salem 2006 ; Auclair 2012). Pour Wycichl le nom antique de Gaetulus dérive du berbère Agadig, pluriel Igudalen qui donna Gudala (Camps 1999). Salem y trouve un sens un peu différent en soulignant la fonction de protection dans le sens de protéger des caravanes qui semblent à l’évidence le bien le plus précieux à protéger, sauf pour des pasteurs nomades dont le bien essentiel est plutôt l’herbage. Hawad parle de « former écran, être à la frontière » (Walentowitz et Attayoub 2003). Dans tous les cas, ces interprétations ne sont pas en contradiction, mais forment bien un tout comme le rappelle Auclair en définissant l'agdal de frontière que l’on protège. L'agdal désigne à la fois le territoire protégé des communautés, lieu de l'honneur et l'espace protégé à la frontière des territoires tribaux, lieu de la baraka des saints (Auclair 2012).

    Les agdals pastoraux sont des pâturages soumis à une mise en défens pastorale pendant plusieurs mois au printemps, étroitement associés à la pratique de transhumance estivale (Auclair 2012). A l’évidence, il est assez simple de faire un parallélisme avec l’environnement des Igdalen en Ighazer qui participent chaque année à la cure salée, on pourrait même leur attribuer un semblant de rôle de gardien, car ils ne s’éloignent guère de la plaine estivale et ce depuis près de 1500 ans, ils sont selon toutes les traditions les premiers berbères occupants l’Ighazer (Chapelle 1949 ; Hamani 1989).

    Au Sahara, les clans qui s'approprient les espaces sacralisés, les agdals, portent l'emblème des Igdalen - le pluriel d'agdal - qui désigne aujourd'hui encore, chez les touaregs, les membres de la classe sacerdotale gestionnaire du sacré (Auclair 2012). Chez les Igdalen, la gestion du sacré se conjuguent avec le contrôle de l'espace géographique et politique, ils assimilent le sacré au pouvoir. En détenant le sacré, les Igdalen se lient d'un pouvoir vis à vis des autres groupes, ils se comportaient sans doute comme les élus de Dieu et ce avant même l'arrivée de l'islam (Naïmi 2010). Les Igdalen de l’Ighazer répondent encore à cette catégorie, puisqu’ils sont les porteurs de l’islam, érudits pieux et non armés. Néanmoins, il n’est pas certain que les Igdalen de l’Ighazer ait ou eurent par le passé une telle conception du sacré.

    Ce lien qui s’esquisse ici entre les Igdalen et l’agdal, serait très intéressant à renforcer par des études plus précises sur la manière dont les Igdalen de l’Ighazer appréhendent leur territoire de parcours et la fonction sacerdotale qui les caractérise. A l’évidence, nous pouvons mettre en lien ces éléments avec une des traditions d’origines des Igdalen qui les venir de Fès au Maroc et qui, en sus, les fait chérifiens, un sacerdoce.
    Par ailleurs, pour les Igdalen, la sacralité se traduit aussi par la croyance en le Mahdi, le rédempteur qui viendra parmi eux, au sens de Naïmi donc ceux de l’ouest saharien (Naïmi 2017). Cette sacralité fut reprise par le mouvement Almoravide qui porta une attention particulière au Mahdi (Hunwick 1966), sans doute parce que l’un des initiateurs était Igdalen. Le Mahdi semble encore bien présent dans les croyances des Igdalen de l’Ighazer qui professent le rite malékite (Siliman 2021).

    On sait aussi que les berbères du Sahara occidental, devenus soumis aux Arabes qui étaient des guerriers, sont devenus religieux peut être pour éviter la soumission de l’occupant. Les Igdalen sont parmi ceux dont l'islamisation a été la plus précoce et surtout l'arabisation qui est un caractère rapporté par Barth, ce sont des arabes-touaregs. Se pose alors la question de savoir à quel moment les Igdalen de l’Ighazer ont perdu leur statut de guerrier pour celui d’Ineslemen, avant leur arrivée en Ighazer ou en Ighazer même ?

    De nos jours l’agdal pastoral est toujours en fonctionnement dans les hauts pâturages marocains, comme celui de l’Oukaimeden ou du Yagour. Les villes ont récupéré également le terme pour en faire des jardins privatifs imposants auprès des anciennes capitales marocaines, comme Meknès, Marrakech, Rabat ou encore Fès. Ce sont de véritables jardins emmurés dont on peut penser qu’ils sont une appropriation urbaine du phénomène rural par les pouvoirs locaux, c’est à dire sans doute au moins à partir de la seconde moitié du premier millénaire de notre ère, rien nous interdisant de penser le phénomène plus ancien.

    Aujourd’hui, on retrouve Agdal comme l’un des 6 arrondissements de la ville de Fès. Un village près El ouata sur la route des Oasis vers le Touat se nomme également Aguedal. Enfin, nous trouvons au bas du tombeau de la reine Tin Hinan à Abalessa, l’oued Amded qui nous rappelle le quartier de la ville d’Agadez, Amdit dont les habitant sont les Igdalen Kel Amdit. Ceci ne constitue en rien une preuve mais échelonne une voie de migration alimentant l’une des origines des Igdalen venant de Fès.


    Des traditions d'origine

    igdalen originesLe recueil des traditions orales dans la littérature, nous présente deux villes comme origine probable des Igdalen, Fez au Maroc (Chapelle 1949 ; Hama 1967) et Oudden (Urvoy 1936 ; Adamou 1979) qui n’est pas située précisément. Certains la situe au Fezzan et même jusque près de la Mecque, les Igdalen seraient les descendants d’Al Hassan petit fils du prophète et donc Chérif (Adamou 1979). Que ce soit Fez ou la Mecque, il est souvent recherché à travers ces traditions d’origines une référence pour valider la généalogie d’un groupe, Fez ayant était créée par le Chérif Idriss premier à la fin du VIIIè siècle, ce qui paraît somme toute assez proche de la venue des Igdalen en Ighazer pour en faire un lien solide.

    Ibn Khaldoum note des Sanhadja qui portent le nom de Zenaga dans l'Atlas, le Dera/Draa et le Sous al Acsa, ils sont indépendants de tout, du côté de la montagne Tedla, d’Akircilouin, vivant à côté des Zenata habitent des chaumières de broussailles (Baron de Slane 1982).

    Il serait également possible de rapprocher les Igdalen des Zenaga maintenant proche du fleuve Sénégal qui sont peut être des descendants des Gdala/Getule (Chapelle 1949), Barth fait déjà ce rapprochement lorsqu’il visite Agadez au milieu du XIXè (Barth 1863), mais il ne semble pas y avoir d’Igdalen proprement dit en Mauritanie. Zenaga est très probablement à l’origine du nom Sanhadja dont l’une des fractions les plus importantes fut les Gdala et qui possède encore aujourd’hui un parlé berbère typique au sud-ouest mauritanien, parlé qui est actuellement mis en relation avec d’autres chérifs de l’Ighazer, les Attawari parlant la Tetserret mais aussi avec les parlés berbères du sud Maroc (Walentowitz et Attayoub 2003).

    On notera également qu’au sud-est Mauritanien, il existe une ville ancienne du nom de Ouadane qui pourrait être une possibilité pour le Oudden des traditions. Malfante le cite dans sa correspondance du Touat en Oden sur la route du sel de Teghaza (De la Roncière 1918). Ouadane est placé au nord de l’Aouker qui est la zone barycentre du royaume de Ghana. Le positionnement des Gdala au sud mauritanien dans la région de Ouadane est donc tout à fait probable, en contact étroit avec le « pays des noirs », qui leur a donné dans l’histoire une fonction motrice dans la diffusion de l'influence berbère vers le Tekrour, front de contact privilégié durant tous les temps médiévaux (Mohamed Baba 2004), contacts bien évidemment propices à des échanges linguistiques.

    En se rapprochant ainsi de la partie occidentale de la boucle du Niger, on découvre la présence d’Attawari dans la région de Goundam, plus précisément des Sinsar ou Kel Intissar, rapporté par Boubou Hama (Hama 1967). A cette longitude, on touche le domaine du Songhay et en particulier du songhay occidental de Lameen Souag, comprenant les parlés de Tombouctou et Djenné, ces parlés étant plus étroitement liés au domaine du songhay septentrional comprenant notamment la Tagdal et la Tasawaq d’In Gall, mais aussi le Korandjé de Tabelbala (Blench et Souag 2012). Là aussi, s’esquisse donc un lien latitudinal entre Mauritanie et Ighazer qui méritera également d’être consolidé.

    L’origine occidentale des Igdalen pourrait donc se situer entre Fez et le fleuve Sénégal avec en quelque sorte des postes avancés que sont la région du sud Atlas marocain, le Sous al Acsa et la région de Ouadane au sud-est mauritanien. Entre les deux, s’étend le grand désert parcourus par les chameliers Messufa appartenant à la grande confédérations des Sanhadja qui nomadisent, pour la partie des « mulethamin » d’entre eux, exactement dans toute cette zone du Sahara occidental.

    Ibn Hawqal fait des Igdalen des Zenata, il cite les Banu Igdalen dépendant du roi de Tademekkat (Hamani 1989), donc plus sûrement autour des Ifoghas et l’on retrouve encore actuellement des Igdalen au sud des Ifoghas. Pour Miquel, la région de Tadmekka constitue, « jusque dans la complexion de ces habitants », comme une transition entre le monde noir et le Sahara (Miquel 2013). Les berbères zénètes chassés de Cyrénaïque au IIè siècle se réfugient au Sahara occidental et notamment au sud Maroc comme les Miknaca dans la région de Tedla. On retrouvera également des populations juives commerçantes jusqu’au fleuve Sénégal (Cuoq 1975) qui ont suivi une migration assez similaire. Au Vè siècle, les juifs fondent des royaumes notamment dans la Vallée du Draa et s'installent aussi dans le Touat, avec les zénètes qui sont pour Oliel des nomades caravaniers judaïsés (Jacques-Meunié 1972 ; Oliel 1994). Ce sont les Zénètes Miknaca qui ont fondés Sidjilmassa au VIIIè siècle et qui sont allé au secours de Uqba Ibn Nafi contre les berbères Masmuda, peuplement installé au Maghreb (Jacques-Meunié 1972 ; Hamani 1989).

    2023 genealogie nicolai2023 genealogie nicolaiCes communautés sont très complémentaires, et même si le judaïsme des zénètes est plutôt une façade, ces berbères caravaniers participent sans doute à créer avec les juifs commerçants les premiers véritables échanges transsahariens et notamment avec le fleuve Sénégal et la boucle du Niger, il sont peut être même ceux qui ont amenés le chameau et le dattier à travers la Sahara vers le IVè siècle (Oliel 1994). Al Bakri note bien à Aoudaghost que le gros de la population sont des gens de l'Ifriqyia dont les Zénètes (Monteil 1968).

    Oliel rapporte également un fait relaté par Edmond Bernus, vers 1972, qui a rencontré des Igdalen à tresses et recueilli leurs confidences : « Dans le campement d’Akenzigi (en Ighazer) vivait un chef très vénéré, Akhmed wen ekked (des tresses) que j’ai interrogé et qui m’a donné une liste de ses ancêtres ... Il portait des cheveux tressés ... Comme tous les Igdalen, il ne faisait jamais la guerre, ne portait pas d’armes et était un éleveur de chameaux remarquable ... » (Oliel 1994). Cette information à l’évidence amène à ne pas rejeter si rapidement la piste des Zenètes judaïsés comme une origine possible d’une partie des Igdalen et peut-être des Iberogan que Barth croisât au marché aux animaux d’Agadez au milieu du XIXè avec leur long cheveux. Des Touareg à tresse ne sont effectivement pas monnaie courante au Sahel et on retrouve également des Sanhadja à tresse dans la plaine du Macina au sud-ouest de Tombouctou, qui sont rencontrés par les fondateurs de cette même cité les Immaqqasharan (Dédé 2015). Ils seraient maintenant inféodés aux Peulh du Macina. A l’évidence, de plus amples recherches sur ces Sanhadja à tresse animeraient un peu plus le débat sur la présence et surtout le devenir des juifs présents au Sahel depuis le IVé et encore présents à Gao lors du passage d’Al Maghili auprès d’Askia Mohamed Touré à la fin du XVè.

    Sous les poussées islamiques des VII-VIIIè siècles, les zénètes abandonnèrent le judaïsme pour un islam "libéral", le kharidjisme, ne se mettant ainsi pas sous la domination complète des arabes. Ils sont ceux dont l'islamisation a été la plus précoce et surtout l'arabisation, qui peut être un souvenir de l'origine arabe des Igdalen, ils ont notamment aidés Uqba Ibn Nafi contre les berbères Masmuda à la fin du VIIè (Hamani 1989).

    Cuoq note également la présence de juifs au nord Sénégal et bien entendu dans le Touat depuis certainement le IIè siècle (Cuoq 1975). On a donc tout lieu de penser qu’ils étaient présents également au sud du Sahara et aux alentours de la boucle du Niger, notamment la région de Goundam dont les puits maçonnés seraient un de leur témoignage. Cuoq encore note la possible protection dont ils furent privilégiés de la part des Almoravides, signe qui peut être interprété aussi comme une reconnaissance d’une fonction sacrée de ces groupes dans la société. Cuoq poursuit en évoquant la possibilité qu’une partie de ces juifs se seraient métissés aux contacts des populations noires de la boucle du Niger, faisant ainsi perdurer quelques signent de leurs traditions.

    Ainsi à travers les vicissitudes politiques et économiques, les berbères Zenata durent nouer des relations commerciales étroites avec les juifs depuis le Touat et le Sous al Acsa et l’ensemble de la frontière d’avec le pays des noirs. Mais il est vrai que la Sahara occidental est plus sûrement occupés par les Sanhadja dont les Messufa en sont les caravaniers attitrés, et ont peut se demander s’il n’y pas une erreur de copiste entre Zenata et Zenaga, élément qu’il serait intéressant de consolider.

    On notera également la tradition rapportée par Boubou Hama, plus pour la forme d’ailleurs, car elle rassemble les éléments voire les clichés construits a posteriori que l’on retrouve dans beaucoup de traditions orales. Elle donne une origine Stambouliote aux Igdalen qui seraient issus par un mariage d’un Icheriffen avec une Songhay donnant le mélange songhay/berbère des Igdalen d’aujourd’hui. Parallèlement la servante aussi se marie à un songhay pour donner les Iberogan (Hama 1967), éléments de tradition que l’on retrouve chez nombre de tribus Touareg.


    De l’érudition

    igdalen migrationsIl est nécessaire de se poser la question de l’acquisition de l’érudition islamique des Igdalen, car elle peut nous permettre de mieux cadrer l’histoire migratoire des Igdalen. Fez est créée au VIIIè siècle presque en même temps que la venue des Igdalen en Ighazer et on a du mal à croire que l’érudition des Igdalen fut acquise en plein Sahara d’un coup de baguette magique. Une hypothèse pourrait être que les Idrissides dépêchèrent des imam pour enseigner l’islam aux nouveaux convertis à la fin du VIIè, afin d’être sur de leur conversion et d’en rendre compte. Mais il n’est pas impossible que la conversion des plus fervents commença dès le VIIè en terres marocaines. On peut également penser qu’une tribu d’arabe avait la charge d’islamiser les zénètes défenseurs d’Uqba et donc de les suivre comme un guide spirituel, s’inféodant ainsi à leurs mœurs.

    Hamani qui cite Ibn Hawqual précise que les Igdalen ou Yakadalin qui pour lui sont des Zénètes, sont ceux dont l'islamisation a été la plus précoce et surtout l'arabisation (Hamani 1989), ce qui peut noter le souvenir arabe que rappelle Barth lors de sa visite à Agadez, « ce sont des Arabes-Taoureg dixit les arabes », ce qui pourrait être matière à renforcer l’origine maghrébine. Nicolas nous rapporte également que les femmes Igdalen porte les voiles de guinée simple, comme les femmes arabes (Nicolas 1950). Les Igdalen se disent arabes pour Abadie (Abadie 1927).

    L’acquisition du savoir islamique a donc pu se faire soit au Maroc, soit en Mauritanie, soit autour de la boucle du Niger. A vrai dire en l’état de mes connaissances, toutes les propositions peuvent trouver une explication dans l’histoire, qui s’étale depuis la conquête islamique à la période Almoravide soit sur 4 siècles. A coup sur, la conquête Almoravide renforça l’islamisation des populations autour de la boucle du Niger, elle sera même le terreau de la fondation de l’empire du Mali.

    L’érudition des Igdalen a été renforcée lorsque le chef Gdala pris le commandement général de la confédération sanhadjienne au début du XIè, incluant les Lemtouma et les Messufa. De retour de son Hadj, Yahaya Ibn Ibrahim Al Gudali recherche un guide spirituel qu’il trouvera en la personne de Ibn Yacin, Lemta d’origine. A la mort du pèlerin, ce dernier se retire dans une ribat sur la côte mauritanienne avec quelques chefs Lemtouma. Se renforçant tous les jours, il attaquera les autres Lemtouma, les Messufa et les Gdala pour les soumettre à la nouvelle doctrine, le mouvement des almoravides, un courant rigoriste de l’islam, est né. (Baron de Slane 1982). A l’évidence ce mouvement renforça à terme les positions berbères autour de la boucle du Niger, car même si le mouvement s’effondra devant les almohades un siècle plus tard, les Sanhadja porteurs du voile ne perdirent pas vraiment leur positionnement au Sahara occidental. Les Messufa même, renforcèrent leur influence sur le commerce transsaharien et tissèrent dès le XIIè des liens très étroits avec l’empire du Mali qui effacera le Ghana. La religion pris alors très vraisemblablement une place aussi de plus en plus importante dans les sociétés au sud du Sahara.

    Les Gudala se retirèrent assez rapidement du mouvement Almoravide, à peine une décennie après leur premiers entrefaites. Il se mirent en marge au sud-ouest mauritanien. A sa mort, Ibn Yasin avait conquit tout le Sahara et le sud Marocain de Sidjilmassa à Aoudaghost.

    Dans tous les cas, on peut convenir pour l’heure que l’aire d’origine des Igdalen est occidental et se situe assez bien autour ou dans l’aire des langues songhay septentrional, c’est à dire dans un triangle approximatif entre Fez, la région de Ouadane et la boucle du Niger, incluant donc le Touat. Le mouvement vers l’Aïr pouvant être considéré comme un mouvement terminal de migration à la fin du premier millénaire, dont on note la fondation des premières mosquées de l’Aïr dont celle de Tefis par des Icheriffen de l'Adrar Tademekket et Fez, les Kel Tefis en représenteraient un témoignage actuel (Nicolas 1950).

    Cette zone semble émerger du Sahara occidental, terre des Gétules antéislamiques puis des berbères Sanhadja, mais elle ne pénètre pas le Sahara central, puisque les témoignages linguistiques et historiques effleurent les Ifoghas, avec notamment des restes de parlés dans la Région d‘Araouane, et donc des Igdalen au sud des Ifoghas. Le déploiement des Igdalen se poursuit donc dans la plaine de l’Azawagh, terre sans doute encore peu empreinte de la culture berbère marocaine, mais pourtant si proche de la culture garamantique du Fezzan.


    Esquisse d’une chronologie

    La chronologie dégagée ici est encore imprécise, mais permet d’avoir une vue d’ensemble des éléments dégagés plus haut, et qui pourra s’affiner par des recherches complémentaires sur l’agdal, les Gétule, le sacré, la linguistique et sûrement également des us comme l’usage de la tente que nous verrons plus loin. Et bien entendu la précision de l’histoire même de l’ensemble du Sahara qui permettra peut être de retracer des mouvements plus précis de population, ainsi que l’acquisition de la fonction d’Ineslemen des tribus Igdalen dans un contexte linguistique particulier.

    - avant notre ère, le Sahara occidental ainsi qu’une partie du Maghreb est occupé par les Gétules. Il est probable que ces Gétules tissaient déjà des liens avec le pays de noirs, mais la péjoration climatique vers 2500 BE a dû distendre ces liens et a permis l’émergence d’un système pastoral atypique, l’agdal dont certaines communautés devaient en être les détentrices.
    - au début de notre ère, les Gétules sont différenciés et les Sanhadja occupent le Sahara occidental entre Sous al Acsa et fleuve Sénégal, Messufa, Lemtuma et Gedala du nord au sud. Le zénètes très présents au Maghreb sont aussi présents au Sous al Acsa, tout comme les juifs mais surtout sur la partie oriental du Sahara occidental, entre Touat et Tombouctou.
    - la conquête islamique va inciter certaines fractions à émigrer notamment vers la boucle du Niger et ce dès le VIIè avec l’arrivé des Lemta dans la région de Gao. La route commerciale vers le Sidjilmassa-Ghana est la plus fréquentée, la route Touat-Tombouctou est une route secondaire.
    - le mouvement des Almoravides va déplacer les routes commerciales occidentales vers celles plus orientales du Touat-Boucle du Niger. A chaque époque le long de ces voies, des populations se déplacent.

    Ainsi deux grands scénarios sur les origines des Igdalen émergent dans ce cadre géographique et historique. Un scénario longitudinal de Fez au pays des Songhay et un scénario latitudinal du fleuve Niger à l’Ighazer. Ces scénarios postulent que l’Agdal est issu des Gétules et que lors de la péjoration climatique il pu y avoir une distension des liens entre les Gétules du Maroc et ceux voisinant le fleuve Sénégal, ces derniers ayant perdu la tradition de l’agdal. La vérité se situant certainement entre ces hypothèses


    Des contemporains médiévaux

    igdalen implantationL’arrivée des Igdalen en Ighazer remonte selon les auteurs autour des VIIIè et IXè de notre ère, ce seraient les premiers berbères aux pieds de l’Aïr (Urvoy 1936 ; Chapelle 1949 ; Hamani 1989), avant l’an 1000 pour Nicolaisen (Nicolaisen 1982). Ces mêmes auteurs citent également aux côtés des Igdalen, les Iberkoreyen qui sont également des chérifs (Urvoy 1936 ; Chapelle 1949 ; Hamani 1989). Je retracerais ailleurs l’histoire de ces derniers ainsi que celles des Isheriffen du nord Niger, dont il semble actuellement encore difficile de démêler les origines mais dont les apparentements méritent une discussion.

    Pour Chapelle, les contemporains des Igdalen sont les Goberawa, Katsinawa et Iberkoreyan, tous d’ailleurs quittent la région à la fondation du Sultanat d'AZ vers la fin du XVè (Chapelle 1949). Il signale donc qu’avant le Sultanat de l’Ayar, les montagnes et leurs alentours sont occupées par des hausaphones, Igdalen et Iberkoreyen formant la population berbérophone. La seule occupation de ces berbères semblent être la recherche des pâturages (Hamani 2006). Quelques auteurs, reprenant sûrement Muhamad Bello, signalent également d’autres berbères en Aïr comme les Kel Tamgak ((Séré de Rivières 1965 ; Hama 1967 ; Rossi 2016).

    Mais il peut apparaître assez troublant que les Igdalen seuls semblent être des berbères venus de l’ouest. Hamani propose, en appui aux listes de tribus d’Ibn Hawqal et Ibn Khaldoun que ce ne sont pas les seuls venus de l’ouest et qu’à la fin du deuxième millénaire on peut être certain qu’il y a également des berbères Sandal et des Messufa en Ighazer (Hamani 1989). Ce serait donc tout un corpus de berbères qui seraient issus de Tademekkat et de la boucle du Niger amenant très probablement avec eux le véhiculaire songhay qui donnera naissance à la Tasawaq.

    A l’aube du deuxième millénaire, les Igdalen, bien installés en Ighazer, semblent disparaître des écrits et des traditions orales. Peu de mentions sont à noter sur leur compte, montrant l’absence de rôle politique de cette population dans l’histoire de la région, où tout du moins une absence de rôle prééminent. Pourtant, ils sont bien présents à Azelik/Takadda en compagnie des Inusufan, Imesdraghen, Lissawan, Tawantakat, Iberkoreyan (Bernus et Cressier 1992). Muhamed Bello les cite également dans les 5 tribus venues d’Awdjila, certes tardivement, ayant mis en place le Sultan d’Agadez aux côtés des Amakitan, Tamkak, Sandal et Ajdaranen (Rossi 2016).

    On notera également le point de vue de Hamani qui suggère que les berbères de la région de la boucle du Niger présents aux pieds de l’Aïr ne sont pas que les Igdalen mais qu’il y a eu un mouvement d’ensemble avec Iberkoreyan qui sont tous des Zenata précédant les Massufa puis les Sandal dont les Iteseyen (Hamani 1989). Ainsi retracer l’histoire des Igdalen pourra vraiment se comprendre en retraçant l’histoire de l’ensemble des flux migratoires entre Ifoghas et Aïr.

    A la naissance du Sultanat de l’Ayar et plus précisément lors de la révolte des Gobirawa et Iberkoreyan contre le Sultan de l’Ayar au milieu du XVè siècle, les Igdalen ne semblent pas être du bon côté et leur place en Ighazer va se faire au prix d’un désarmement (Urvoy 1936). Légende ou fait réel, toujours est-il que les Igdalen ont encore un nom de quartier de la vile ancienne d’Agadez qui se nomme Amdit, du nom de l’une de leur principale tribu. On retrouve ensuite les Igdalen lors de la scission des Ouelleminden, mais on ne sait pas trop le rôle qu’ils ont pu jouer avec l’ensemble des Icheriffen (Urvoy 1936). Un autre événement plus tardif est relaté sans guère plus de précision, vers le XVIIIè 4000 Kel Fadey viennent à Tegidda n’Adrar sur invitation des Kel Tofeyt pour repousser les Kel Tamesgidda (Bernus 1981). Cet événement montre néanmoins que les Igdalen sont désarmés et qu’ils font appel à des protecteurs, ici les Kel Fadey, pour les défendre.

    Au début du XXè, les Igdalen de l'Adrar des Ifoghas qui étaient Imrad des Tarat-Mellet dans la région de Kidal, ont eu à subir les exactions d’Hamoédi des Kounta, les survivants se sont enfuis au Denneg, région au nord de Tahoua où ils se sont réunis aux Igdalen de cette région (Cortier 1908). Cet événement nous rappelle qu’il y a aussi des Igdalen/Icheriffen au Mali dans presque toute la boucle du Niger depuis Goundam où l’on trouve des locuteurs de la Tetserret, langue des Attawari, et qu’ils ont des parentés avec les Dahaushahaq de la région de Ménaka. L’ensemble de ces éléments de parenté sont importants à mieux accrédités si l’on veut reconstruire une histoire des Igdalen.

    Je noterai en complément pour le moment, l’hypothèse que j’ai émise dans un autre article sur la possibilité que les Yénatiboun, domestiques blancs du Sultan Izar qu’Ibn Battuta visite à Takadda en 1353, peuvent être les Igdalen, ou tout du moins des Isherifen, tenant un rôle de domestique pour la royauté Inussufan (Jarry 2019). Une tradition rapporte d’ailleurs que la Tagdal fut acquise parce que les Ischerifen vivaient en étroite relation avec les chefs Lemta de la boucle du Niger, montrant peut être une relation importante des Ineslemen d’avec les chefferies locales, faisant écho à la dépendance directe des Igdalen au Sultan d’Agadez.


    Les tribus Kel Amdit – Kel Tofey

    igdalen tribusLes Igdalen rassemblent différentes petites communautés indépendantes les unes des autres qui adhèrent à différents groupements Touareg. Lorsque l’on parle d’Igdalen dans la littérature, c’est le plus souvent un terme générique et la situation géographique est importante pour comprendre à quelle entité il est fait référence. Les Kel Amasar sont la classe dirigeante des Igdalen (Hamani 1989), le nom pourrait provenir de Amasara un village de l’Azawagh au sud d’In Teduq qui reste notamment dans les mémoires des traditions orales des Ayttawari et Anuankarawa de l’Ader. La racine berbère Amasar signifie manquer, faire défaut. En Tamasehq, « amasur » signifie l’avant-bras, il n’est pas rare de voir des noms de tribus être dénommée par l’anatomie humaine montrant ainsi l’importance de la tribu ou du groupement à un tout. Par ailleurs, près de Bouda dans le Touat existe une localité El Mansour qui pourrait être aussi une étymologie de Amsar, le Touat étant en lien avant même l’Islam avec la boucle du Niger au sud du Sahara. Une autre tribu, les Kel Akbour trouve également une étymologie similaire dans les Touat qu'il faudrait vérifier car Akbour comme Amsour ne compose pas les quelques 2 500 noms de lieux que j'ai recensé en Ighazer Aïr (Oliel 1994).

    Les Igdalen, au teint clair, sont des gens pacifiques et religieux, ils se disent Isherifen et souvent ne portent pas d'armes. Cette réputation d'hommes tranquilles et de marabouts de renom précédant toutes les vagues de migration touarègue dans l'Ighazer, leur a permis de traverser ces 10 derniers siècles sans heurts majeurs. Sans doute aussi que la préservation de leur lignée, par peu de mariage en dehors de leurs tribus, leur a aussi permis de garder leur authenticité et leur neutralité. Ils sont au nombre de 3 308 en 1975 et 3 940 en 2005 et 8 320 au recensement de 2012 dans la plaine de l'Ighazer, soit un taux d’accroissement de 3,5%, qui se fait essentiellement à l'intérieur de cette tribu et participe ainsi à la préservation de leur lignée. Les Igdalen ne se marient jamais aux Touareg, mais peuvent se marier aux Idaksahak du Mali du fait de lien de parenté (Amselle et Sibeud 1998). Dans les années 80, Edmond Bernus recense environ 1300 Kel Tofeyt vers Kokari et Akenzigi et 800 Kel Amdit vers Tigerwitt et Assaouas (Bernus 1981).

    Dans l'Ighazer, les Igdalen sont divisés en deux tribus, les Kel Tofey qui occupent les villages d'Akenzigui, In-Gitane, Tegidda n'Adrar, Assaouas, Tigerwit et Tirgit près d'In Gall, et les Kel Amdit qui occupent les villages plus au Sud de Marandet à Aderbissinat. Ils ne forment pas un groupement autonome et dépendent directement du poste administratif d'In Gall, aujourd'hui érigé en préfecture.

    Les Igdalen étaient aussi présents dans les cités d’Azelik et Agadez, le quartier Amdit à Agadez portant le nom d'une de leur tribu. Ces sièges du pouvoir devaient être essentiels pour qu'ils puissent préserver leur autonomie et neutralité, et donc leur terroir, qui paraît être le même depuis leur arrivée dans la région. Il dénote la aussi un besoin de proximité avec les chefferies locales peut être pour remplir leur fonction sacerdotale.

    Les groupes Igdalen que l’on peut recenser dans la littérature sont assez divers, sans doute lié au fait qu’il n’y a pas de confédération Igdalen a proprement parlé, et que ces tribus se retrouvent éparpillées dans divers groupements par l’administration coloniale. Néanmoins quelques noms de tribus ont une bonne fréquence de citation par les auteurs depuis la première énumération de Abadie en 1927. Ce sont notamment les Ket Tofeyt, Kel Amdit, Kel Tagaleyet, mais également les Kel Tatoghas, Kel Terayerit, Ikirmidale et Terbanaza. Ces données son efficacement complétées par celle d’Edmond Bernus qui a listé en 1981 les groupements nomades de l’Azawagh (Bernus 1981).

    On notera toutefois l’énumération la plus récente de Siliman Ouba* qui scindent très clairement les communautés en Kel Tofeyt et Kel Amdit et qui est le seul à recenser les Kel Amasar qui pourtant on une place prépondérante chez les Igdalen (Siliman 2021).

    Géographiquement, les Igdalen sont par ailleurs dispersés entre l’Azawagh au nord-est, l’Ighazer à l’est et le Damergou au sud-est, an passant par la Tadarast et le nord Ader. Cette dispersion tant géographique que communautaire marque la fonction Ineslemen de ces tribus, qui bien qu’ayant un apparentement entre elles, ne semblent liées que par cette fonctionnalité sacerdotale encore très bien identifiée par les ensembles Touareg. Ce positionnement géographique fait toujours le lien entre le monde berbère et le Bilad al Sudan.

    Au Mali, on note également la présence d’Igdalen, notamment rattachés aux Imajeren Kel Afella, Kel Taghat Mellet et également Kel Essouk, chefferie dont pourrait être issue le Sultanat de l’Ayar.

    Les Igdalen du groupement nomade I de l’Azawagh

    TribusPopulationCatégorie socialeSous clanRégion de parcours en saison sèche
    KEL TERAYERIT 104 ineslernen Igdalen entre Tillia et frontière malienne
    KEL TEGALEYET (Tahozet) 165 ineslernen Igdalen entre Tillia et frontière malienne
    KEL TEGALEYET (Tegguget) 88 ineslernen Igdalen entre Tillia et frontière malienne
    IBARZAGAN 548 ineslernen Igdalen entre Tillia et frontière malienne
    TAMJIRT 643 ineslernen Igdalen est de Tahoua

    Les Igdalen du groupement nomade VII de l’Azawagh

    TribusPopulationCatégorie socialeSous clanRégion de parcours en saison sèche
    TAN TAGABALAMAT 824 ineslemen Igdalen Tamaya
    IDAWATAN  402 dépendants Iberogan Tamaya, Ibankar n'Iklan
    IRESAMAN  308 dépendants Iberogan Abalak
    IGADANIAN  4748 dépendants Iberogan Shadawanka
    IKARASHAN  579 dépendants Iberogan  
    IBEKMAN 456 dépendants Iberogan  Abalak
    ISHERIFEN BOLKHU 544 ineslemen (iberkoreyen) Isherifen  ouest In Waggeur
    TARKANT 1145 ineslemen Isherifen  In Fagagan, est Tchin Tabaraden
    TAKERKOSHI 427 ineslemen Isherifen  Tofarnanir
    TAKBILEHU 154 ineslemen Isherifen  entre In Waggeur et Tofamanir
    KEL AJGET 233 ineslemen Isherifen  Taza
    TARKAZ 205 ineslemen Isherifen  In Wageur
    INADAN 405 artisans    Shadawanka

    Les Iberogan

    Les Iberogan, peut être au nombre de 20 000, qui ont eux aussi un parlé spécifique à base Songhay (la Tabaroq), sont des tribus dépendantes des Igdalen, ils se situent actuellement plutôt dans la région d'Abalak (Bernus 1981) et se différencient par une couleur de peau noire. Ils sont spécialisés dans l'élevage des moutons et leurs campements sont éparpillés dans tout l'arrondissement. Les Iberogan se spécialisent en outre dans la commercialisation à longue distance de la terre salée recueillie aux alentours des sources de Gélélé, fort appréciée en saison sèche des éleveurs de l'Azawagh (Bernus 1981). Enfin, ils sont reconnus comme bons bergers et ainsic ertaines tribus comme les Illabakan ont recours à des bergers salariés qui se chargent des troupeaux d'ovins, plus rarement des camelins (Bernus 1974). La rémunération équivalait en ce temps à un chamelon pour six mois de garde d’un troupeau de chamelles (Bernus 1994).

    Boubou Hama citant un ministre parle de « Iderfan » c’est à dire des esclaves affranchis. Durant les années 1967-68, Edmond Bernus en note également près des puits et station de pompage de Shin Salatin au nord de Tchin Tabaraden, In Aggar au nord de Tamaya, Tofamanir à l’ouest de Tamaya et à la station de pompage de Tamaya (Bernus 1974). Néanmoins ce statut de dépendance n'est pas clairement établi, d'autant plus qu'il y a une certaine distance entre ces communautés. La non violence des Igdalen ne doit pas non plus renforcer les liens de subsidiarité avec d'autres populations. Selon la tradition orale évoquée plus haut, ils auraient la même origine que les Igdalen mais seraient issus d'une servante qui leur conféra donc ce statut d'imghad (Hama 1967). Ils seraient des intermédiaires reconnus sur le commerce du sel de Tegidda n’Tesemt (Bernus 1981).

    Seul Edmond Bernus cite des tribus rattachées aux Iberogan, ce sont les Idawatan, Iresaman, Igadaman, Ikarasham, Ibekman (Bernus 1981). La distanciation qui existe aujourd’hui entre les Igdalen de l’Ighazer et les Iberogan de la région d’Abalak pourra sans doute être mise en corrélation avec les mouvements des Isherifen de l’Ighazer vers l’Azawagh, notamment au moment de la différenciation des Iberkoreyan en Ayttawari et Kel Eghlal vers le XVIIè ou le XIXè siècle. Les Iberogan appartiennent aujourd’hui au groupements nomades VII avec un ensemble d’autres tribus Isherifen.

    Beltrani 1983

    Les Igdalen ont une tribu vassale qui partage leur langue, les Ibarogan; ils sont considérés comme des Igdalen de "seconde classe", bien qu'ils aient le statut d'hommes libres : mais leur couleur est plus foncée et Barth - qui les a vus à Agades au milieu du XIXe siècle - les décrit comme "des hommes grands, aux traits larges et grossiers, avec de longs cheveux qui descendaient jusqu'aux épaules et au visage". Ils ont eux-mêmes des "serviteurs de tente" appelés Beyna si c'est un homme, Tamu si c'est une femme (Beltrami 1983).

    La description d’Henrich Barth en 1850

    Les Ighdalen ou Eghedel forment une race fort curieuse ; ils sont de sang mêlé berbère et Sonrhaï, et leur type est particulièrement remarquable. Dès les premiers jours de mon arrivée à Agadès, lorsque je visitai l'erarar n'stakan, ou marché aux chameaux, les Ighdalen me frappèrent par l'originalité de leur physionomie. C'étaient des hommes hauts de taille et large de carrure, aux traits grossiers fortement accentués ; ils portaient les cheveux longs, leur couvrant le dos et le visage, au grand effroi des Touareg. Quelque temps après, je reçus, la visite d'un jeune homme fort intéressant, de cette tribu. Il avait la figure ronde et pleine, les traits agréables et fort réguliers ; les yeux noirs, beaux et pleins de vivacité, le teint olivâtre, à peine plus foncé que celui d'un Italien. Sa chevelure était noire, mais ne pendait pas librement, comme chez ses compatriotes ; longue d'environ quatre pouces, elle était, au contraire, hérissée et découpée en rond autour des oreilles, comme en forme de brosse. Ce jeune homme, doué d'un caractère entreprenant, était allé plusieurs fois à Sokoto. D'après ce que j'ai pu constater, les Ighdalen sont un dernier et faible débris de l'ancienne et célèbre tribu de Ghedala, quoique le nom paraisse être assez différent, au premier aspect. Le caractère tout particulier des Senhadja, auxquels appartenaient les Ghedala, força les meilleurs écrivains arabes de les séparer de la souche commune des Masigh pour les rattacher directement à la tribu des Himyariti. Les Ighdalen habitent principalement Ingal, Teghidda et les environs. Ingal est une petite ville située à quatre journées d'Agadès, sur la route de Sokoto. Teghidda est à trois journées d'Ingal et à cinq journées O.-S.-O. d'Agadès (Barth 1863).


    La Tagdalt - La Tabarog

    igdalen tagdalUne des grandes particularités des Igdalen est d’avoir un parlé qui leur est propre, la Tagdal, un langage mixte songhay-tamasheq tout comme la Tasawaq des Isawaghen d’In Gall ou la Tetserret des Attawari d’Abalak qui sont les descendants des Iberkoreyan. Ce n’est que tout récemment que la langue Tagdal est devenue la 11è langue nationale du Niger, reconnue le 6 décembre 2019 par l’assemblée nationale nigérienne. Cette reconnaissance tardive marque un écho à l’histoire des Igdalen, qui n’eut que peu d’influence sur la géopolitique médiévale, historique et contemporaine de cette partie du Niger, mais qui pourtant ont suent résister culturellement depuis 1500 ans.

    Les langues songhay septentrional sont connues pour combiner les caractéristiques songhay et touareg-berbère. Elles sont issues d’un songhay véhiculaire simplifié (Nicolaï et Creissels 1993). Nicolaï a divisé ces langues en sous-branches nomades et sédentaires, ce que Benitez-Torres et Grant ont confirmé d'un point de vue grammatical (Benitez-Torres et Grant 2017). Les Iberogan ont la même caractéristique mais leur parlé est différent et se nomme Tabaroq, les deux parlés composant la Tihishit.

    L’acquisition de cette langue mixte marque un contact étroit entre les Igdalen et le peuple songhayphone qui en toute vraisemblance a dû se produire au niveau de la boucle du Niger. Inféodés aux chefferies berbères de Tademekkat comme Songhay des Lemta de Gao, elle pourrait très bien apparaître comme un intermédiaire nécessaire dans la cohabitation des peuples. Mais pour que les Igdalen en fasse un vernaculaire, il a du se passer des phénomènes sociologiques et historiques particuliers qui ont conduit à une telle acquisition. Avec leur fonction sociale, les Igdalen allaient suivre les voies commerciales et se positionner jusqu’aux pied de l’Aïr marquant une nouvelle étape dans l’évolution de leur parlé. Chronologiquement cela a dû se passer durant la seconde partie du premier millénaire, et se finaliser sans doute au début du second, mais on a vu que les relations avec la boucle du Niger sont bien antérieures à l’islam et donc on ne peut exclure un début des phénomènes à ce moment là.


    De la tente

    igdalen tressageLes Igdalen habitent des tentes en nattes comme la plupart des Touareg de l’Ighazer, Kel Ferwan, Kel Fadey. La question de l’origine des tentes en nattes n’est pas résolue, mais Salluste en particulier les attribue aux Gétules, dont on a vu que les Godala en seraient les descendants et dont les Igdalen pourraient être issus (Casajus 1981). Aux Xè, Ibn Hawqal mentionne que parmi les gens du roi d’Aoudaghost, certains ont des tentes en branchage (Cuoq 1975), rappelant la description d’Ibn Battuta au XIVè à l’est de Gao (Defrémery et Sanguinetti 1858). Ibn Khaldoun nous rapporte également, que des Sanhadja qui portent le nom de Zenaga dans l'Atlas, le Draa et le Sous al Acsa, habitent des chaumières de broussailles. Enfin, Nicolas nous apprend que le mot « abergen » désigne un abri minuscule et aussi la hutte de tige de mil et paille des Iberogan, les Imghad noirs des Igdalen (Nicolas 1938).

    De même, l’ancienneté des Igdalen dans la région peut avoir un rapport avec le fait qu’on les considère comme les spécialistes de la fabrication de certains clayonnages et aussi avec le fait que, des deux techniques de tressage utilisées dans la sparterie de l’Ayar l’un s’appelle « la touarègue », l’autre « celle des Igdalen » (Casajus 1981). Par ailleurs dans les familles Touareg les plus huppées, on dispose une natte particulière sous les nattes du lit qui se nomme « ewerwer » et qui est fabriquée par les Igdalen. C’est une sorte de clayonnage d’Afazo (Panicum turgidum), de forme rectangulaire, elle peut être ornée d’agréable manière des poils de chèvre ou du crin de cheval (Casajus 1981). C’est un particularisme des tentes des Kel Ferwan, Kel Fadey, Kel Owey et peut être Kel Gress (Casajus 1981).

    Une question se pose alors : les Kel Ferwan, Kel Ewey, Kel Gress avaient-ils à leur arrivée dans l’Aïr des tentes en nattes ou les ont-ils adoptées au contact des Igdalen et autres berbères de l’Ighazer ou inversement ? Pour l’essentiel, il sont tous venus des Ajjers ou du Hoggar postérieurement aux Igdalen, et l’on note aujourd’hui aucunes traditions de tente en natte dans le Sahara central. La question de la tente en natte semble donc pour l’heure se situer dans le même espace géographique que celui des traditions d’origines des Igdalen.

     

    *communication personnelle, en 2020-21 il est Secrétaire Général de la commune rurale d‘In Gall.


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