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    Les Gétules

    Les Gétules vont occuper une place tout aussi importante que les garamantes dans l’histoire des populations de l’Ighazer. Gabriel Camps en fera des Sanhadja (Camps 1987) dont certaines factions, comme les Messufa, seront à l’origine du premier royaume de notre plaine. Les Gétules sont des populations qui sont disséminées depuis la Syrte-Tripolitaine jusqu’aux rivages de l’atlantique sur une bande géographiquement hétérogène. Ils y occupent le plus souvent les hauts plateaux peu arrosés par un climat pré-désertique, restant pour une partie très en marge des autres populations notamment la Numidie et la Maurétanie (Desanges 1998). Le territoire Gétules englobait une partie du désert saharien, la lisière nord du Sahara (Gsell cité par (Gascou 1970), c’est bien entendu cette frange méridionale de la Gétulie qui nous intéresse et particulièrement sa partie occidentale.


    La Gétulie

    D'après la tradition conservée par Salluste, les Gétules et les libyens étaient les deux grandes races qui habitaient à l'origine l'Afrique, c'est-à-dire la partie nord-ouest du continent. Lorsque le littoral maghrébin devint la propriété de diverses « tribus d'Asie », qui formèrent la Numidie et la Maurétanie, les Gétules furent repoussés au sud de l'Atlas sur ces hauts plateaux. Par ailleurs, nous savons que les Libou occupaient jadis l’espace entre le Nil et la Cyrénaïque. Les Mashwesh quant à eux, situés à l’ouest des Libou, devaient occuper approximativement la Tripolitaine. L’histoire belliqueuse des Mashwech, partiellement associés aux Peuples de la Mer, s’éteint à l’époque historique, où les Maces sont installés dans la Tripolitaine (Rebuffat 2018).

    Dans la Gétulie de l’est, ce sont donc les Maces qui pour Strabon sont les « autres Gétules » (Strabon 1865). Ils bénéficient d’un certain type de symbiose avec les cités puniques, qui n’étaient pas encore de grandes villes. Ce peuple se localise depuis la tripolitaine et s’étend jusqu’au sud tunisien (Rebuffat 2018). Il est bien probable que le territoire des Maces cesse au sud, là où va commencer celui des Garamantes, même si des pistes caravanières les relient. Ils semblent jouir d’une certaine proximité avec l’Empire Romain, puisque l’archéologie ne révèlent que de la mise en valeur de fermes qui ne sont jamais fortifiées. Les Maces semblent avoir connu une stabilité fort surprenante depuis les phéniciens jusqu’à la fin de l’empire romain, stabilité à peine entamer par les Vandales. Vers 533, c’est aussi l’époque où nous perdons la traces littéraire des Maces au profit des Maures, des barbares et des Laguatan qui ne sont pas des envahisseurs mais bien les autochtones (Rebuffat 2018).

    Les Mace seront parmi les premiers Gétules à se sédentariser, sous l’influence de l’empire romain. Les anciens peuples Gétules plus ou moins regroupés en confédérations tribales comme celle des Musulame ou des Musuni, ont été engagés, de l’époque flavienne et sévérienne, dans le processus de romanisation de leurs élites sociales (Trousset 2012).

    Les bornages réalisés par la romains matérialisaient la séparation de zones de statuts juridiques différents : territoires appartenant à des Romains latifundiaires, communautés urbaines d’origine Musulame et secteurs laissés à des fractions restées fidèles à leur mode de vie traditionnel fondé sur l’élevage extensif. L’essentiel est ici de souligner la persistance sur ces territoires de l’ancienne Gétulie d’une circulation saisonnière des hommes et des troupeaux. C’est finalement plutôt en termes de surveillance des courants de circulation, comme un instrument d’administration militaire et non comme une fermeture hermétique de la frontière qu’il convient donc d’interpréter le limes. Placés en des lieux où semi-nomades et transhumants se concentraient avant de s’engager dans les couloirs conduisant vers les aires de culture et d’estivage de la steppe ou de la plaine côtière, ces « barrières » permettaient d’en réguler le flux – et de le protéger contre d’éventuels pillards – en le canalisant vers les principaux passages obligés de la zone frontière. Un tel contrôle pouvait avoir pour but de faire respecter le calendrier des récoltes pour les troupeaux transhumants, mais aussi d’exercer une taxation douanière sur les marchandises transportées vers les marchés périodiques situés dans la zone de contact entre unités naturelles d’économies complémentaires. Le tarif de Zaraï nous donne un exemple de ces droits de passage et d’utilisation des terres en révélant la conjonction de deux flux d’inégale importance : un transport de marchandises de luxe assujettis au paiement du droit de douane du portorium ; le second concerne les pequaria, c’est-à-dire les troupeaux qui passaient au poste de Zaraï en franchise pastorale (Trousset 2012).

    On n’en sait peu sur la limite méridionale centrale de la Gétulie, et notamment sur les oasis du Touat ou du Tidikelt, les éthiopiens se concentrant dans les oasis pré-saharienne (Trousset 2012), le grand erg occidental ayant aussi pu jouer son rôle de frontière naturelle. La continuité d’ailleurs avec le massif de l’Ahaggar est incertaine, potentiellement elle pourrait faire la jonction avec les garamantes qui pourraient être également ceux qui amenèrent la technique des foggaras dans ces oasis. Il semble donc qu’avant notre ère les Gétules aient peu de connaissance de la vie au Sahara, mais voisine néanmoins de ce dernier, dans un sahel septentrional. On ne sait quasiment rien des Atarantes et Atlantes que l’on positionne volontiers dans les régions de Ghât et de l’Ahaggar.

    Selon Pline, au sud ils s’étendent jusqu’au fleuve Nigir qu’il considère comme la limite entre la Libye et l’Éthiopie (Smith 1873). L’étymologie pouvant être une frontière (Desanges 2012). A cette époque, le fleuve Nigir est plus un fleuve mythique que réel, qui est sensé prendre sa source dans le mont Atlas au Maroc et rejoindre le Nil (Desanges 2012). Ce fleuve se situe donc au sud-marocain, très certainement dans le Sous et peut se retrouver dans la vallée du Drâa qui coule du nord-ouest au sud-est sur près de 300 km depuis les montagnes de l'Anti-Atlas jusqu'à la lisière du Sahara proprement dit, avant de tourner d'est en ouest sur 600 km supplémentaires pour atteindre l'Atlantique, mais ce second tronçon ne semble pas encore connu de la littérature gréco-romaine au début de notre. Le mythe peut se poursuivre le long du fleuve Guir près de Béchar en Algérie.

    Vers le littoral Marocain, les Gétules sont frontaliers des éthiopiens. Ces derniers peuplaient le littoral du Sous jusqu’à la vallée du Drâa et au-delà vers le sud, tandis que les Gétules occupaient plutôt le Haut Drâa (Desanges 1998). Pline l'Ancien les dépeint comme des barbares, particulièrement dangereux et toujours prêts à piller et à massacrer, mais aussi recherchant l'alliance de tribus moins puissantes, parmi lesquelles les Darae et Daratitae de la vallée du Drâa, les Pharusii sur le versant occidental du Haut Atlas, les Masathi, sur les bords du fleuve Masath, aujourd'hui oued Massa. La localisation de ces différentes peuplades éthiopiennes permet de définir une limite méridionale des Gétules occidentaux, autour de la région d’Agadir occupait par des éthiopiens (Camps 2002).

    L’ensemble de ces zones présentent le même mélange de sites sédentaires et de mobilité pastorale que l’on retrouve aussi chez les Garamantes. Il est difficile d'établir dans quelle mesure ils étaient culturellement différents des Garamantes, et il n'existe pas de "marqueurs" archéologiques spécifiques pour les Gétule. Ce que nous voyons, c'est une unité culturelle générale, combinant une agriculture oasienne intensive dans des endroits tels que Biskra, Capsa mais aussi la vallée du Draâ, avec un pastoralisme nomade, signalé par de nombreuses gravures montrant des cavaliers, des chars et des bovins jusqu'à la côte atlantique. Le cheval était particulièrement important dans la culture des Gétule, comme en témoignent leurs gravures et l'affirmation de Strabon selon laquelle 100 000 poulains leur naissaient chaque année (Mattingly et al. 2019).

    Si les Gétules de l’est semblaient s’accommoder des colonisateurs, ils semblaient être en opposition permanente avec les royaumes du nord, Maurétanie et Numidie, particulièrement durant les derniers siècles avant notre ère.


    A l’époque romaine

    Dans les premières mentions des Gétules, qui datent du IIIè et IIè siècle avant notre ère, on les trouvent d‘abord dans une avant-garde de l’armée d’Hannibal en 216 BCE (Desanges 1998). Salluste nous raconte ensuite comment Jugurtha, après ses premiers échecs et la prise de Thala par Metellus, fit appel aux Gétules et en 107 BCE, Marius, nommé consul d'Afrique, reprit la guerre entamée contre Jugurtha par Metellus et fit lui aussi appel aux Gétules (Camps 2002).

    Jusqu'à cette époque, ils ignoraient, dit Salluste, le nom romain, mais dans cette guerre, ils ont servi comme cavaliers dans l'armée de Jugurtha, en plus de faire des attaques prédatrices sur les Romains (Smith 1873). Salluste alors prêteur de Numidie, décrit les Gétules comme des aborigènes grossiers, qui « se nourrissent de la chair des bêtes sauvages et des racines de la terre, ils habitaient près de la zone torride et leurs huttes ressemblaient a des bateaux inversés » ce sont des hommes au tempérament guerrier et aux manières sauvages vêtus de peaux, certains vivant sous des tentes et d'autres errant sans domicile fixe, et sans gouvernement établi (Smith 1873). On peut évidemment douter de ce portrait caricatural, le simple fait que certaines tribus Gétules participent à une guerre, sans doute comme mercenaires, doit signifier un minimum d’organisation sociale, mais aussi une assise économique sur laquelle le modèle social est développé. Néanmoins, ce modèle social ne semble pas aller jusqu’à un État ou une confédération, mais seulement un ensemble tribale ayant entre elles des affinités avant tout culturelles et résolument tournés vers le pastoralisme nomade sur la frange méridionale de la Gétulie, s’urbanisant et développant arboriculture et agriculture sur la frange romanisée orientale et septentrionale (Gascou 1970).

    La victoire des romains en 24 de notre ère, fut acquise en partie grâce à l'appui de l'armée de Juba qui comptait des Gétules, commandée par son fils Ptolémée. À partir de ce moment, les Gétules de l'est furent rapidement intégrés dans l'empire romain. Au début de notre ère, Strabon en fait donc la plus puissante des nations libyques (Strabon 1865), toujours positionnée sur les hauts plateaux atlasiques. On note « six nations Gétules » implantées sur le territoire de la Numidie avec à leur tête un préfet romain, signe d’un assujettissement à l’empire italien, comme pour l’ensemble du Maghreb septentrional à cette époque. Pline l’ancien cite les tribus les plus importantes, Natabudes, Capsitarti, Musulami, Sabarbares, Massyli, Nicives, Vamacures, Ciniihi, Musuni, Marchubi, pour la Gétulie orientale qu'il fait suivre de la mention de la Gétulie « dans son ensemble » [tota Gaetulia], jusqu'au fleuve Nigris qui sépare Africa de Aethiopia. Parmi les Gétules occidentaux, le naturaliste cite les Baniures, les Autololes Gaetuli qui sont les plus puissants de tous, les Gaetuli Darae et les Vésuniens qui faisaient jadis partie de ces derniers, et qui, s'en étant séparés, ont constitué une nation particulière à côté des éthiopiens (Pline l’Ancien 1855 ; Desanges 1964).

    Les Gétules, s'ils ne formèrent jamais de véritable État, entraient donc pour une large part dans la composition des royaumes maures et numides qui durent composer avec les romains. Au fil de l’histoire cette assimilation se renforcera, d’abord à la romanité puis à l’islamisation et l’arabisation. Les divers peuples Gétules auraient été très majoritairement des nomades ou des semi-nomades saisonniers jusqu’à l’occupation militaire romaine des régions allant des hautes-plaines à la steppe et au pré-désert (Trousset 2012).

    Vers 115 de notre ère, le massacre de milliers de grecs en Cyrénaïque par les juifs et suivis de la répression romaine envers ces derniers qui se réfugièrent en partie dans le Djebel Nefusa. Selon Lewicki, la judaïsation des Berbères sahariens en fut l’une des conséquences. Dès lors, les juifs purent développer leurs activités dans toute la Gétulie (cité par Botte 2011).


    La relation méridionale

    Dans sa description de la Maurétanie Tingitane, Pline insiste sur la puissance de deux tribus Gétules : les Baniurae et les Autololes. La limite d’influence sud de la Gétulie en Maurétanie Tingitane, doit être recherchée dans les régions présahariennes au-delà du Souss, tandis que dans la vallée du Drâa cohabitaient berbères et éthiopiens, le nom de MélanoGétules employé pour désigner ces populations faisant allusion à un important métissage (Camps 2002).

    La frontière sud de la Gétulie avec l’Éthiopie est une zone de contact et il est très probable que les Gétules, avant notre ère, firent des incursions au Sahara, ne serait-ce que les bonnes années de pâturage. De ce voisinage avec les Éthiopiens, des populations mixtes naquirent mentionnées par Ptolémée parmi les grands peuples de la Libye intérieure. Ils auraient mêlé leur sang à celui de leurs voisins nègres, les nigrites, donnant ainsi naissance à un peuple appelé les mélanogétuliens, ou gétuliens noirs (Smith 1873).

    Dans l'intérieur de l'Afrique, Pline énonce les peuples au-dessus des Gétules du côté du midi. Après avoir traversé des déserts, on trouve d'abord les Libyégyptiens, puis les Leucéthiopiens, plus loin, des nations éthiopiennes, parmi lesquelles les Nigrites, ainsi nommés du fleuve Nigir, les Gymnètes, les Pharusiens qui atteignent l'Océan, et les Pérorses, sur les confins de la Mauritanie. Tous ces peuples sont bornés du côté de l'orient par de vastes solitudes, jusqu'aux Garamantes, aux Augyles et aux Troglodytes (Pline l’Ancien 1855). Cette dernière précision notant l’absence de lien entre les Gétules et les garamantes, séparés par des déserts inconnus et qui semble donc englober les atlantes et atarantes de l’Ahaggar parmi les garamantes.

    Selon Strabon, les Pharusii sont un peuple qui vit dans un pays où la saison des pluies est l’été et la saison sèche l’hiver (Strabon 1865). Nul doute qu’il faille ici y voir le Sahel et la mousson estivale, c’est à dire que cette population a ses bases au sud du Sahara. Les Pharusii et les Nigrites habitent au-dessus, c’est à dire au sud, des Maurusii et des Gétules, dans le voisinage des éthiopiens occidentaux qui sont, en outre, comme les éthiopiens eux-mêmes, d'habiles archers. Pharusii et Nigrites sont des éthiopiens, et comme le précise Pline, ils sont présents au sud marocain et jusqu’au au pays ayant un climat de mousson, c’est à dire le sud mauritanien.

    Il est donc possible qu’au delà du Souss et jusque vers le fleuve Sénégal on trouve des éthiopiens et des populations métissées qui assurent une liaison entre ces deux régions, les éthiopiens semblant avoir un économie de la mer comme le rapporte ,,,, dans tous les cas occupant plus sûrement le littoral et les oasis. Les auteurs latins évoquant les Nigritae comme les Pharusii venant des confins de l’Éthiopie, cette situation de populations intermédiaires entre les Éthiopiens au sud et les Gétules au nord, étant confirmée par Strabon (Desanges 2012).

    Les phéniciens étaient les premiers explorateurs de la Libye, mais ils en cachaient la connaissance véritable par jalousie commerciale et même au VIè siècle avant notre ère, époque où Hérodote ne peut décrire la Libye occidentale. Il semble cependant que, comme leurs voisins orientaux les garamantes, les Gétules aient pratiqué une partie du commerce avec l’Afrique intérieure et leur pays a fourni quelques productions naturelles très estimées, en particulier la teinture pourpre, qui était obtenue à partir des coquillages de la côte ouest, et des asperges gigantesques (Smith 1873), potentiellement Cistanche tubulosa.

    Strabon ajoute « dans l'intérieur des golfes qui font suite au golfe Emporique des établissements tyriens, et ces établissements, dont il ne reste plus trace aujourd'hui, n'auraient pas compté moins de trois cents villes ; les trois cents villes, jusqu'à la dernière auraient été détruites par les Pharusii et les Nigrites, peuples que les mêmes historiens placent à trente journées de marche de la ville de Lynx » (Strabon 1865). Cet événement se place géographique au Maroc, les établissements tyriens peuvent être entendu comme des phéniciens, qui participèrent à la fondation de Carthage. Il dénote une attaque en règle, des populations éthiopiennes sur les populations phéniciennes, organisées en trois cents établissements qui aujourd’hui n’aurait pas laissé de traces. C’est un fait curieux, car en Maurétanie Tingitane aucune autre référence ne mentionne ce fait. Une telle concentration d’établissement ne se retrouve d’ailleurs, à notre connaissance, nulle part au Maghreb, tout au plus pourrait-on susurrer les établissements du Dhar Tichitt des confins mauritaniens et ne pas y voir des établissements tyriens mais simplement commerciaux.


    Un passé rupestre

    Les Gétules sont un grand ensemble de populations mal différenciées, en général nomade, mais qu’il est difficile d’en faire un ethnique. Pour Camps, ce sont des berbères pré-sahariens, cavaliers nomades et pasteurs, successeurs des bovidiens blancs, prédécesseurs des chameliers (Camps 1987). Cette vision de nomades pasteurs a encore la vie dure, mais est de plus en plus mise en défaut par les recherches récentes, puisque ces sociétés sont étroitement liées à des groupes d’agriculteurs oasiens (Trousset 2012).

    Callegarin et Moreau nous permettent de croire en une possible représentation figurée que ces populations nous auraient laissées d’elles-mêmes, sous la forme de très anciennes gravures pariétales, et que l’on peut attribuer aux Gétules Darae que Pline mentionne dans le sud du Maroc actuel. Elles représentent des guerriers en armes et à cheval, le cheval ayant précédé le chameau dans les rupestres, dans des scènes de combat ou de chasse (Callegarin et Moreau 2009). Il dispose le plus souvent d’un bouclier rond et peut être armé d’une lance.

    Récemment les travaux engagés dans la vallée du Drâa par Mattingly, montre une concentration importantes de gravures rupestres le long de certains et même certains emplacement d’oueds, suggérant que leur distribution n'est pas aléatoire. En effet, de nombreuses parois rocheuses prometteuses le long de ces mêmes oueds ne sont pas marquées. L’auteur suggère donc probable que les peuples qui ont gravé l'imagerie dans le Drâa puissent être considérés (selon les termes de Mitchell) comme une "nation du cheval", c'est-à-dire une société dans laquelle les chevaux jouaient un rôle fondamental dans les voyages, le commerce, la chasse et la guerre, mais aussi dans les cosmologies et les systèmes de croyance (Bokbot et al. 2021).

    On notera que la carte des représentations rupestres de Yves et Christine Gauthier (Gauthier et Gauthier 2011), montre une répartition des rupestres atlasiques, qui pourrait très bien se superposer à celle des Gétules occidentaux. Mais Pline nous a par ailleurs apprit que les Pharusii, en outre, connaisse l'usage des chars armés de faux (Pline l’Ancien 1855), incitant à la prudence en matière d’interprétation des rupestres. D’ailleurs, la Gétulie orientale ne semble pas renfermer de rupestres et les Pharusii sont connus pour se rendre à Syrte. Pour Bokbot et Mattingly, les régions d'où provient une grande partie de l'imagerie équestre saharienne correspondent aux territoires sahariens septentrionaux des peuples désignés par les sources gréco-romaines comme les Gétule et les Garamante, et plus tard comme les Laguatan et les Mauri (Bokbot et al. 2021).

    Héritiers des éleveurs de bovins du néolithique final et prédécesseurs des chameliers, ces cavaliers nomades avaient déjà appris à remonter tous les étés vers les pâturages septentrionaux. On peut d’ailleurs y voir les débuts de l’agdal, une mise en défend des terrains de parcours hivernaux, qui se poursuit encore aujourd’hui et qui se retrouve dans la racine arabe GDL, qui donna Guedala et pour notre plaine de l’Ighazer les Igdalen. L’agdal se rencontrerai dans tout le Maghreb et au Sahara en continuité avec le monde berbère (Auclair 2012). J’aurai l’occasion de revenir sur l’agdal, lorsque j’évoquerai les Igdalen de l’Ighazer, mais on pourrait déjà voir au temps romain cette mise en défend se faire autour du limes romain et de la Gétulie à partir du premier siècle et surtout du IIè siècle de notre ère, qui ne fut pas une frontière hermétique, mais un lieu qui régule le passage des populations et de leur troupeau vers les estives (Callegarin et Moreau 2009).

    Chemin faisant, les Gétules construisaient et offraient à leurs défunts des sépultures originales : autels, déambulatoires, niches et chapelles qui révèlent des pratiques funéraires inconnues de leurs voisins du Nord. Dans la seconde moitié du premier millénaire de notre ère, les Gétules avaient perdu leur identité spécifique mais leur culture et leur mode de vie perduraient dans toutes les incontrôlables populations nomades des marges sahariennes (Camps 2002).


    Un avenir libre

    Pour Smith, les Gétules semblent être les principaux représentants anciens du grand peuple aborigène de l'Afrique moderne, qui se nomme lui-même amazigh ou Amazergt, c'est-à-dire libre ou noble, et auquel appartiennent les berbères du Mont Atlas, ainsi que les touaregs, qui errent encore entre les oasis du grand désert, et qui sont censés être les descendants en ligne droite des Gétules (Smith 1873). Maures, Numides, Gétules et Garamantes sont des appellations consacrées chez les auteurs gréco-latins qui désignent les trois groupes ethniques amazigh qui peuplent l'Afrique du Nord : Masmouda, Sanhadja et Zenata qui désignent, chez tous les auteurs arabes médiévaux, les trois grandes confédérations de la nation amazigh. Il n’est pas aisé, et peut être même pas pertinent, de chercher à relier un groupe strictement à un autre, car on sait bien que les compositions de confédérations berbères se recomposent au grès des événements historiques, dans le temps et dans l’espace, et qu’il existait aussi des tribus n’appartenant à aucunes confédérations.

    A partir du IIIè siècle, sous l’influence du dromadaire, des tribus sanhadjiennes pénètrent le désert, qu’elles connaissent déjà pour y exploiter les pâturages et assurer quelques échanges avec les oasiens soudanais. Mais cette fois-ci elles y restent et très certainement atteignent rapidement la limite sud du Sahara. Ce sont Hawwara, Levata, Lamtuna, Massufa, Guddala, qui vont progressivement pénétrer et s’installer dans le Sahara, souhaitant aussi peut être s’émanciper de l’empire romain et de ses règles. Ainsi, la ligne de démarcation entre berbérie et soudan passe du nord du Sahara au sud du Sahara. On peut supposer d’ailleurs que ce transfert se passe assez rapidement, guère plus d’un siècle, mais peut être à des périodes différentes que l’on soit au Sahara occidental ou au Sahara central. Ce ne sera pas non plus le grand remplacement d’une population par une autre, les Gétules vont plutôt occuper des espaces alors inoccupés par les éthiopiens car ne disposant pas d’un modèle économique le permettant, ce sera le dromadaire encore qui permettra aux Gétules de développer le modèle économique qui va passer d’un élevage extensif de bovin à un élevage extensif de dromadaire qui va occuper une grande partie du Sahara, les éthiopiens restant plutôt auprès des oasis.

    Entre sud Maroc et Mauritanie et même boucle du Niger, les Sanhadja dominent ainsi ce bout de désert, régulent les transferts de marchandises, jouant tour à tour le rôle de chamelier de guide ou de protecteur, incitant évidemment à la spécialisation des tribus dans telle ou telle fonction. La confédération tribale des Ṣanhāja comprenait neuf tribus, à savoir les Talcata (dont sont issues les dynasties Zirides et Hammadides, les Anifa, les Sharta, les Mandala, les Banu Warit, les Banu Yaltissin, les Gaddala, les Lamtuna, les Massufa. Les trois dernières tribus étaient celles qui soutenaient la dynastie almoravide (Stepanova 2021). Les représentants de cette confédération se nomment eux-mêmes iznagen. La déformation de ce nom se retrouve chez les auteurs arabes du Moyen Âge sous diverses variations : aznāg, iznāgen, ifnayen, znāga, zenāga, ṣanāga, ṣenākha, ṣenhājī, ṣanhāja, ṣinhāja.

     


    Références

    Auclair L. 2012 – Un patrimoine socioécologique à l’épreuve des transformations du monde rural, in Agdal : patrimoine socio-écologique de l’Atlas marocain, p. 52.
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    Desanges J. 1998 – « Gétules » in « Encyclopédie berbère », Éditions Peeters, volume. 20, p. 3063‑3065.
    Desanges J. 2012 – « Nigritae / Nigrites » in « Encyclopédie berbère », Editions Peeters, p. 5554‑5555.
    Gascou J. 1970 – Le cognomen Gaetulus, Gaetulicus en Afrique Romaine, Mélanges de l’école française de Rome, 82 (2), p. 723‑736.
    Gauthier Y., Gauthier C. 2011 – Des chars et des Tifinagh : étude aréale et corrélations, Cahiers de l’AARS, (15), p. 91‑118.
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    Pline l’Ancien 1855 – Histoire naturelle, traduit par Emile Littré, Collection des Auteurs latins, Paris, France.
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    Smith W. 1873 – Dictionary of Greek and Roman geography, Harvard University, AMS Press, 1383 p.
    Stepanova A. 2021 – Sources on the History of the Berber Tribal Confederation of Ṣanhāja in the Middle Ages: The Issue of Reliability, Orientalistica, https://www.academia.edu/101662264/Sources_on_the_History_of_the_Berber_Tribal_Confederation_of_%E1%B9%A2anh%C4%81ja_in_the_Middle_Ages_The_Issue_of_Reliability.
    Strabon 1865 – Géographie, traduit par Amédée Tardieu, Paris, France, Livre XVII, 318 p.
    Trousset P. 2012 – « Nomadisme (Saharien en Afrique du Nord dans l’antiquité) » in « Encyclopédie berbère », Editions Peeters, volume. 34, p. 5578‑5589.