L’épopée garamante peut se définir en deux périodes. La première durant le premier millénaire avant notre ère qui fonde l’entité garamantique en elle-même. Au cours de cette période, les garamantes feront une tumultueuse connaissance avec l’empire Romain. La seconde période commencera avec notre ère et sera une période faste commercialement aux côtés de l’empire Romain, jouant un rôle de plaque tournante du commerce transsaharien, avant le déclin du plus ancien des états sahariens et la dispersion des garamantes qui précédera l’arrivée de l’Islam.
Le nom même des Garamantes signifierait « les gens des maisons ». La racine arhrham, « maison, construction », est une racine pan-berbère. Les nombreuses ruines de l'oued El-Agial témoignent en faveur de cette hypothèse. Il semble donc que les garamantes aient été principalement des oasiens agriculteurs sédentaires, vivant dans d'importants établissements permanents et complexes de bâtiments en briques crues. Cela ne veut pas dire que les garamantes n'ont pas également intégré des éléments pastoraux (Mattingly et al. 2019).
Parmi les peuples paléoberbères, l’entité saharienne la plus puissante, avec celle des Gétules, sur laquelle nous avons le plus de renseignements historiques, est celle des Garamante. Tacite (historien latin, Ier-IIe siècles de notre ère) disait de ce peuple qu’il constituait « une nation indomptée ». Seul État organisé de l’Afrique intérieure au sud des possessions carthaginoises et romaines, les garamantes représentaient une entité régionale considérée comme un véritable royaume dans la littérature gréco-romaine, un centre de pouvoir à la fois politique, économique et religieux.
L’émergence
Chassés des bords du Nil durant la 18e dynastie pharaonique qui marque le nouvel empire avec l’expulsion des Hyksôs, les garamantes se seraient part la suite fixés au Fezzan (Saby 2008).
Pour Ginette Aumassip, les Gétule et les Garamante appartiennent aux Libyens que les sources égyptiennes font entrer dans l’histoire vers 3200 BCE et sont les éponymes Tehemu et Lebu (Aumassip 1993). Ce serait donc le fond des populations libyennes, qui selon Hérodote concerne les populations blanches de l’Afrique de l’antiquité. Ils les différencient des Éthiopiens qui habitent le sud de ce continent et sont mélanodermes.
De la même manière pour Smith, les Garamantes étaient un peuple libyen non nègre, de l'ancienne race appelée Amazergh, un nom qui se retrouve peut être dans Mourzouk. Ils assuraient le commerce intérieur entre l'Égypte, la Cyrénaïque, la Tripolitaine et Carthage, d'une part, et l'intérieur de l'Afrique, d'autre part (Smith 1873).
Mais c’est encore un pays « rempli de bêtes féroces » pour Hérodote, c’est à dire qu’il ne les connaît pas, et « qui fuient le commerce et la société de tous les hommes ». Ils paraissent d’ailleurs incapables de se défendre ne possédant pas d’armes (Larcher 1850). Plus loin dans son livre IV, Hérodote semble se contredire en dépeignant les garamantes comme une « nation » fort nombreuse et leur oasis ont déjà de nombreux palmiers. Ils font la chasse aux Troglodytes-Éthiopiens (sans arme !), en se servant pour cela de chars à quatre chevaux (Larcher 1850). Hérodote semble donc nous décrire deux images des garamantes, l’une de populations sauvages vivant parmi les bêtes féroces et l’autre une nation qui domine une autre. Dans les stéréotypes de l’époque, ne doit-on pas y voir une dualité entre mélanodermes et leucodermes qui dénoterait déjà une certaine forme de métissage de cette population ? Mattingly se fait écho de cette vision, en ajoutant que le barbarisme progresse plus l’on s’éloigne de la côte méditerranéenne (Mattingly 2001). Ainsi, les deux images précisent aussi l’éloignement du descripteur de l’objet décrit.
Dans tous les cas, la description des garamantes par Hérodote laisse des traces importantes dans la littérature du XXè siècle, des razzieurs d’esclaves fin connaisseurs de la charrerie, peut être même « au galot volant » comme sur les images rupestres que l’on trouvent essentiellement au Fezzan. Yves Gauthier fait remarquer que l’on reconnaît somme toute assez peu de char gravés ou peints dans les vallées occupées par les garamantes, et il faut peut être alors admettre qu’Hérodote ait pu se tromper en désignant les garamantes conducteurs de chars, d’avec les populations du Messak voisin (Gauthier et Gauthier 2011). Pour Yves Gauthier, il semble que le Messak voisin du pays des Garamante, n’est jamais ou très peu été colonisé par les garamantes, et ce en raison de la distribution des éléments funéraires lithiques. Ce constat « laisse la place pour une coexistence de deux populations occupant des territoires proches sinon imbriqués avec un certain taux d'interpénétration » (Gauthier et Gauthier 2004).
Une nouvelle économie
Aux alentours de 1700-500 BCE, les conditions climatiques de plus en plus difficiles conduisent à un mode de vie différent, la société se hiérarchise, comme en témoigne l’évolution des monuments funéraires, la présence de biens de prestige importés, mais également l’émergence d’éléments d’apparats dont le char, la lance et plus tard le javelot. Dans la vallée de la Tanezzuft, les établissements pastoraux commencent à se concentrer autour de véritables oasis. Les sépultures ont livré peu de céramique, et cette culture peut être aux origines de la civilisation des garamantes (Gallin et Le Quellec 2008).
Hérodote mentionne les garamantes parmi les peuples établis dans la zone la plus interne de la Libye, le “bourrelet de sable” qui s’étire de la Haute-Égypte au détroit de Gibraltar. Peuple fort nombreux, ils sont situés à dix jours de marche des habitants de l’oasis d’Aoudjila, en direction de l’occident (Larcher 1850).
L'agriculture oasienne dans le Fezzan est datée d'environ 1000 BCE. Dés le premier millénaire avant notre ère, les garamantes développent cette agriculture, d’abord avec la production de céréales, les données paléobotaniques provenant des fouilles de Zinchecra et de Jarma indiquant que les cultures du blé emmer, du blé panifiable et de l’orge, étaient déjà présentes entre 900 et 400 BCE, grâce au système du chadouf pour élever l’eau des nappes affleurantes, puis à partir de la seconde moitié du premier millénaire avant notre ère avec le système des foggaras, deux systèmes d’irrigation probablement issus de l’Égypte (Wilson 2012). Les garamantes cultivaient certainement des dattes, et en échangeaient avec des groupes nomades locaux contre des produits animaux comme le lait et la viande. Ils cultivaient également le sorgho, le coton, le raisin et les figues.
Mais les libyens, ce sont aussi des éleveurs bovins. Hérodote nous en signale l’une des particularités de ces vaches que certains Libyens élèvent, qui broute à reculons à cause de ses longues cornes (Larcher 1850), qui peuvent rappeler certains rupestres, comme les taurins de Termit ouest qui ont deux cornes droites très en avant de la tête (Quéchon 1997). Entre les garamantes et la méditerranée, Hérodote note les Psylles et les Nasamons, ces derniers laissant l’été leur troupeau en bord de mer pour aller faire la récolte des dattes dans l’oasis d’Awdjila, oasis encore très présente dans les traditions orales d’origine des populations Touareg de l’Aïr. On peut très bien imaginer qu’en saison estivale, une partie des éleveurs garamantes pratiquent également se repli sur les oasis pour y chercher des fruits.
Pour assumer ces cultures oasiennes d’appoint, les garamantes vont chercher la main d’œuvre au sud. Ils y razzient les troglodytes-éthiopiens, qui sont aujourd’hui le plus sûrement confondus avec les Toubous (Beltrami 2006). On peut donc supposer que leur chevauchée se poursuivent vers le Tibesti et le long de l’axe qui mène au Lac Tchad, passant par le Djado et le Kawar. Sans même aller au-delà, il est à peu près assuré que les garamantes aient une connaissance de cette voie pour y pratiquer leur « prélèvement » sur de courtes distances par cabottage. Les esclaves occupent sans doute les oasis toute l’année, les propriétaires des palmeraies revenant, à l’instar des Nasamons, chercher leur production lors de la saison de récolte. Plus les besoins des romains seront importants et plus les garamantes iront chercher les esclaves loin. C’est peut être le sens de l’expédition vers Agisymba que certains placent sur la voie du Lac Tchad, d’autres en Aïr (Bernus et al. 1986).
Au cours du dernier millénaire avant notre ère, la culture oasienne et le pastoralisme à longue distance deviennent donc les principales composantes de l’économie des garamantes (Lancelotti et Biagetti 2021).
Une consolidation politique et commerciale
A l’aube de l’ère chrétienne, Cornelius Balbus a célébré en 19 BCE, un triomphe contre les garamantes et leur capitale Garama. Mais, ils auraient encore causé des problèmes à Rome lors de la révolte de Tacfarinas vers 17-24 de notre ère. Après la mort du chef numide, ils firent allégeance aux romains, puis prirent part au conflit armé entre Oea et Lepcis Magna en 68-69, à la suite duquel, l’empire Romain semble les avoir ramenés à l'ordre par une expédition punitive. A partir de cette date, les relations avec les romains se développent, même si les garamantes restent non inclus à l’empire Romain et ne fournirent ainsi jamais de contingents à l’armée impériale (Desanges 1998).
Les garamantes avaient un roi, et ont peut donc penser que dès cette époque de négociation avec les romains, la hiérarchie est aboutit dans leur société. Vers 235, Hippolyte distingua des garamantes intérieurs et des garamantes extérieurs [par rapport à la Méditerranée] s’étendant jusqu’à l’Éthiopie (Desanges 1998), proposant ainsi un vaste territoire pour leur roi.
Au début de notre ère, allée donc émerger au cœur du Sahara central entre Libye et Algérie, une société étatique qui se loge aux confins de deux mondes. L’empire romain au nord, que l’on matérialise souvent par une frontière ou limes, mais qui est loin d‘être hermétique, et les populations pastorales du Sahara central et méridional. Les Romains n’auront jamais vraiment accès à ce deuxième monde, tout comme les arabes n’ont jamais eu accès aux mines d’or d’Afrique de l’ouest fonctionnant ainsi un peu comme un royaume courtier à l’interface de deux territoires écologiques (Fauvelle 2019). En général, il est plutôt admis que la poterie romaine n’a pas pénétré au sud du Sahara, bien que de possibles imitations subsahariennes de types d'amphores romaines soient signalées au Mali. La poterie romaine la plus méridionale actuellement retrouvée, se situerait au sud du Fezzan vers Ghat (Wilson 2012).
Dans une telle perspective, il suffira qu’un seul des deux mondes disparaisse ou mute profondément pour que notre courtage disparaisse aussi. On pourrait y voir un tel trait, car le Royaume Garamante émerge avec l’avènement de l’empire Romain en Afrique du Nord et disparaîtra aussi avec lui, même si le manque d’eau au Fezzan est une concomitance de fait qui doit interpeller. Profitant de l’affaiblissement des deux camps de nouveaux conglomérats tribaux émergeront dans les zones frontalières entre les quatrième et sixième siècles de notre ère (Wilson 2012). L’insécurité, le manque de moyen économique entraîneront inévitablement une main d’œuvre moins disponible et un progressif abandon des foggaras, du fait aussi probable d’une baisse de la nappe phréatique induisant un cercle vicieux qui ne pu aboutirent qu’à la fin du Royaume.
Avant cette fin, l’interface commerciale que forment les garamantes est donc due essentiellement à ce qu’ils purent fournir et au nord et au sud des biens matériels demandés. Si rupture de charge il y eu en pays Garamante, on doit aussi admettre que les chargeurs ne sont pas les mêmes avant et après le pays Garamante, qui joue son rôle de courtage entre les deux mondes. Le chameau est vraisemblablement introduit en Afrique du nord au début de notre ère. Doit-on aussi y voir une concomitance fortuite ou non avec l’avènement du Royaume Garamante ? Au delà de la rupture de charge dans les oasis du Fezzan, une limite de cette voie transsaharienne est peut-être le véhicule, les chameaux du nord avec leurs pieds plus larges seraient mieux adaptés aux étendues sablonneuses de cet itinéraire, mais leurs pieds ne peuvent pas supporter facilement les terrains rocheux de la partie sud de l'itinéraire, pour lesquels les chameaux touaregs sont mieux adaptés (Wilson 2012). Ainsi, les races de chameau, où simplement quelques phénotypes de ces derniers purent se développer selon l’usage qu’il en fut fait, prestige, transport, ce que l’on retrouve bien aujourd’hui dans les diverses races camelines. Dans tous les cas, nul doute que peu à peu les cavaliers émérites vont peu à peu délaisser l’équin pour le camelin.
Les biens échangés
La marchandise la plus demandée par les romains semble être les esclaves et très certainement une demande aussi forte que lors de la période islamique qui suivra (Wilson 2012). Les populations sahariennes sont aussi demandeuses de cette main d’œuvre et ont déjà des habitudes de razzia dans la zone sahélienne, comme on l’a vu plus haut, pour développer les cultures oasiennes. Mais si la razzia est suffisante pour développer des cultures, fournir l’empire Romain s’avère une tâche différente. D’une part, il va falloir aller chercher les esclaves de plus en plus loin et d‘autre part la gestion d’un grand nombre de personnes à travers le désert n’est sûrement pas aussi simple. On peut sans doute imaginer des alliances de proches en proches entre les garamantes et les populations du Sahara central et celles voisinant le Lac Tchad, d’en le but de fournir la demande au nord.
La route principale de ce commerce fut très probablement celle du Lac Tchad qui passe par le Djado et le Kawar, c’est sans doute la voie transsaharienne la plus ancienne, peut-être celle aussi qui vue les premiers chameaux capables d’effectuer la grande traversée. Potentiellement un peu d’or pouvait circuler plutôt en provenance de la boucle du Niger à travers le Hoggar, à partir des cités émergentes telle Jene-Jeno au début de notre ère et Kissi plutôt vers la fin de la période garamantique.
En échange des esclaves et d’une partie de la production oasienne, les romains pouvaient offrir leurs productions agricoles qui viendront compléter celle des oasis et surtout renforcer le prestige de leur chefferie, l’archéologie mettant au jour des d’amphores de vin, des céramiques, qui se retrouvent en grande quantité dans les oasis fezzanaises.
Pour s’approvisionner en esclaves durant la période romaine du Royaume Garamante, il y a peu de chance que la razzia soit le système le plus efficace. Il devait suffire pour trouver la main d’œuvre oasienne, mais sans doute pas pour l’exporter dans l’Empire. Le troc pu s’installer notamment avec le sel, toujours très demandé au sud du Sahara, des pierres précieuses comme la cornaline ou l’amazonite, mais peut-être aussi des céréales comme le blé ou le Sorgho, mais a priori rien des productions romaines qui ne franchirent pas le Sahara, pas plus que leur monnaie. Dans un tel système, les garamantes ont donc une société avec qui discuter et qui a donc un minimum d’organisation pour faire ce troc. Ce commerce fut florissant du premier siècle de notre ère vers 69, jusqu’au début du troisième siècle de notre ère où l’avènement de Septime Sévère côté Romain, qui fit rétablir forts et limes, semblant mettre les relations sous-tension, d’avec les garamantes et autres voisins de l’Empire (Fentress et Wilson 2016).
Pour Wilson, la viabilité du commerce des garamantes dépendait de leur capacité à produire dans le Sahara central des biens recherchés par les peuples subsahariens, ou à faire vivre une population suffisamment nombreuse et forte pour qu'ils puissent simplement faire des raids sur leurs voisins, ou une combinaison des deux. Tant qu'ils pouvaient maintenir une agriculture irriguée à grande échelle, les garamantes étaient en mesure de contrôler le système commercial transsaharien (Wilson 2012). La combinaison de l'agriculture dans les oasis, du pastoralisme dans les environs immédiats et dans les montagnes, et du commerce transsaharien à longue distance, a permis au Royaume Garamante de prospérer sur les terrains accidentés du Sahara pendant plusieurs siècles (Lancelotti et Biagetti 2021).
Le Fezzan garamante fonctionnait donc comme une plaque tournante de routes commerciales sahariennes et transsahariennes antiques, il semble avoir échangé jusqu'au Kanem et au Lac Tchad en échange d'esclaves, mais aussi potentiellement vers la boucle du Niger pour l’or. A cette vision dichotomique de la relation de l’État Garamante avec la zone sahélienne, comment se situe notre zone de travail de l’Ighazer et plus globalement de l’Aïr ?
La carte de Wilson et Fentress est édifiante à ce sujet, elle est vide (Fentress et Wilson 2016). Entre la route de la boucle du Niger via le Hoggar et Timissao, et celle du Lac Tchad via le Kawar, on note bien la ville d’Agadez mais qui à cette époque n’existe pas, mais on note surtout aucune piste menant à cette zone. Or, à cette époque, la culture pastorale des porteurs de lances est présente en Aïr, tout au moins durant le premier millénaire avant notre ère, à Iwelen jusque vers 200 BCE (Roset 1984). Ces derniers accédaient aussi durant ce millénaire à un bouleversement social entraînant une certaine hiérarchisation, renforcée par l’adoption du cheval et du char comme outils d’apparats, très certainement en provenance du Fezzan. Christian Dupuy y voyait une réponse à un besoin de renforcer leur puissance vis à vis des peuplades sahéliennes (Dupuy 2011), mais on pourrait peut-être y adjoindre aussi un besoin d’éviter les razzias garamantes, qui dès lors se rabattirent sur les troglodytes en direction du Lac Tchad et du Tibesti où les porteurs de lances sont très peu représentés. Dans tous les cas, des contacts semblent établis sur le premier millénaire BCE, puisque l’on trouve des porteurs de lances sur les rupestres du Fezzan, mais aucun lien ne semble établis pour le début de notre ère.
L’émeraude des garamantes
L’émeraude des garamantes, dont Théodore Monod en à rapporter le mythe, qui trouve son origine dans des lectures rapides des auteurs latins et grecs, comme Duveyrier, pourtant pas un novice en la matière, et d‘autres après lui qui ne firent pas l’effort de reprendre ces textes (Monod 1974).
En guise d’émeraude ce sont plus certainement des gemmes, escarboucles et autres amazonites qui rendirent célèbre le pays Garamante (Camps 2002). Ce commerce se faisait avec les Troglodytes, « avec lesquels on ne fait d'autre commerce que celui de la pierre précieuse que nous appelons escarboucle, et qui est apportée d’Éthiopie. Sur ce chemin est le pays de Phazanie (Fezzan) » (Pline l’Ancien 1855).
Des foggaras
Les foggaras ont probablement été introduites à l'époque garamante, au cours des derniers siècles avant notre ère et ont été utilisées jusqu'à l'époque médiévale et probablement au plus tard à la fin du premier millénaire de notre ère (Wilson 2012 ; de Faucamberge 2016 ; Fentress et Wilson 2016). Ce système d’origine perse, trouve ses premières traces en Afrique vers 500 BCE dans les oasis de Kharga et au IIè siècle BCE au Fezzan (Dupuy 2014). Elles permirent l’intensification de l’agriculture oasienne qui marque sans nul doute une forme de sédentarisation au Sahara. On retrouve des Foggaras à la même latitude dans les oasis du Touat, Gourara, Tidikelt, mais probablement aussi dans les Aurès, technique qui a pu se diffuser par contact, d’est en ouest, de population berbère à berbère (Fentress et Wilson 2016), ou simplement de migration d’une partie de la population. Leur diffusion est encore une énigme, mais sa résolution apporterait sans nul doute de précieux éléments pour mieux comprendre les dynamiques de populations à la lisère septentrionale du Sahara. Elle marque néanmoins une relation commerciale et technologique avec l’Égypte.
Quel métissage ?
Hérodote, le père de l’histoire, énumère les tribus de la Libye : les garamantes, les atarantes, les atlantes, que certains identifient respectivement aux habitants des Ajjers, de l’Adrar et du Hoggar.
Dans l'intérieur de l'Afrique, Pline énonce les peuples au-dessus des Gétules du côté du midi. « Après avoir traversé des déserts, on trouve d'abord les Libyégyptiens, puis les Leucéthiopiens, plus loin, des nations éthiopiennes, parmi lesquelles les Nigrites, ainsi nommés du fleuve Nigir, les Gymnètes, les Pharusiens qui atteignent l'Océan, et les Pérorses, sur les confins de la Mauritanie. Tous ces peuples sont bornés du côté de l'orient par de vastes solitudes, jusqu'aux Garamantes, aux Augyles et aux Troglodytes » (Pline l’Ancien 1855).
Il est possible que cette énumération se fasse d’est en ouest, les libyégyptiens aux confins de la Libye et de l’Égypte, les leucéthiopiens au Sahara central, plus un grand désert avant de trouver des population éthiopiennes Nigritae et Pharusii. Ce type d’énumération ne doit pas étonné, les auteurs anciens délimitant l’espace géographique par une succession de climat qui progresse en clameur vers le sud, schéma de représentation de l’espace qui sera affirmé par Ptolémée.
On se trouve donc dans une zone de contact encore mal définie par les auteurs gréco-latins qui n’ont jamais pénétré ces contrées. Les Garamantes faisaient partie de cet ensemble de populations à peau sombre qui se distinguent des négroïdes soudanais et des blancs méditerranéen (Camps 2002), peut être les leucéthiopiens dont le nom marque un possible métissage.
Sergi et Chamla ont même précisé une répartition des différents types, notant une moitié de type méditerranéen, un quart de métissés et un quart de négroïdes (cité par Camps 2002).
Les garamantes étaient considérés par Ptolémée comme plutôt éthiopiens et quelque peu noirs, mais il les distingue des peuples éthiopiens. Ils devaient néanmoins y avoir de fortes relations avec les éthiopiens au sein de leur royaume. Aux yeux des habitants de l’Empire, ils passaient communément pour noirs ou pour noirauds. En fait, les garamantes constituaient sans doute pour les Anciens une “population intermédiaire” (Desanges 1998). On peut supposer que les relations d’avec les éthiopiens se sont grandement développer avec le commerce transsaharien naissant au début de notre ère, favorisant les échanges, intégrant peut-être même des tribus éthiopiennes dans le royaume. Ce métissage est aussi évoqué par d’autres auteurs, Beltrami positionnant même vers 1000 BCE un métissage entre des souches libyco-berbère et soudanaise (Beltrami 1983). Les deux images qu’Hérodote nous donne des garamantes font ici écho, de même que l’aréologie des rupestres et monuments funéraires d’Yves Gauthier.
La fin des garamantes
Entre les IVè et VIè siècle, le royaume Garamante décline, mais il y avait toujours un roi lorsque le conquérant musulman Sīdi Oqba ben Nāfi pénétra au Fezzān en l’an 667 (Mattingly 2001). Ce dernier ira jusqu’au Kawar montrant les liens directs qu’il devait exister avec la capitale garamante. Si l’on sait qu’une partie des garamantes se dispersa vers l’Afrique maghrébine (Fentress et Wilson 2016), une partie pu rester également sur place en retrouvant une économie plus nomade. Gabriel Camps fait la différence entre les garamantes ancêtres des Touareg qui n’abandonnent pas le char, contrairement aux Gétules qui vont l’abandonner. Pour lui, après les gétules et les garamantes on parlera de Sanhadja et de Zenata (Camps 1987).
Mais une partie pue également émigrer vers le sud et peupler le Sahara méridional. Ce peut être bien entendu le cas pour toutes les populations dont les métissées et les négroïdes en particulier. Palmer d’ailleurs, nous indique voir dans les éleveurs de bétail Garawan du royaume du Bornu, des descendants des garamantes (Palmer 1934). Car à la suite du royaume Garamante, les sociétés sahéliennes vont aussi commencer à structurer des Etat. Autour du Lac Tchad bien entendu, mais ce sera aussi l’émergence de Kissi dans la boucle du Niger orientale, l’émergence également du domaine de Maranda au sud de la plaine de l’Ighazer. Desplagnes notera également des descendants des garamantes parmi les karidjites comme les commerçants Wangara (Desplagnes 1907). L’état Garamante rassemble bien différents types ethniques, des berbères, des négroïdes, et des métissés (Mattingly 2001), qui se disperseront dans toutes les directions.
Le contact entre les populations libyco-berbère et éthiopienne ne s’est pas limité aux seuls garamantes. A l’ouest du royaume Garamante, ce sont plus sûrement les gétules qui sont en contact avec les éthiopiens et à l’est les Nasamons qui descendent jusque vers Audjila. En 569, le chroniqueur Jean de Biclar annonce la conversion des Garamantes au christianisme (Camps 2002).
Au cours d'un raid qui dura cinq mois en 666, Uqba assujettit tout le pays garamante, où il trouva des guides pour le mener sur la route du lac Tchad, au pays de Kawar. Il ne s'agissait pas d'un raid accidentel et sans lendemain, car les géographes arabes l'intégrèrent immédiatement dans leurs récits, faisant ainsi une place structurée aux premières avant-gardes sahariennes de la conquête islamique. Uqba, nous dit Ibn Abd al-Hakam, s'empara des villes du Fezzan, jusqu'à ce qu'il eût atteint la plus éloignée. Il demanda ensuite aux gens du pays - donc aux Garamantes - : Y a-t-il encore quelqu'un au delà de vous autres ? Ils dirent : Oui, les gens de Kawar. Après quinze nuits de marche, Uqba arriva auprès de ces gens là. Ibn Abd al-Hakam indique qu'il leur imposa un tribut de trois cent soixante esclaves. Puis, reprend-il, Uqba demanda encore : Y a-t-il un au-delà de vous autres ? Le guide lui répondit : Je n'ai là dessus aucune connaissance ou information (Cuoq 1975). Ce texte fondateur est intéressant à plusieurs égards. Il montre que, dès le début de la conquête, avant même que Kairouan soit fondée, en 670, une bretelle transsaharienne est reconnue et explorée et une frontière établie sur l'un des trois grands axes transsahariens nord-sud, celui qui mène du Fezzan au lac Tchad.
* Je ne fais pas de cas ici de l’émeraude des garamantes, dont Théodore Monod en à rapporter le mythe, qui trouve son origine dans des lectures rapides des auteurs latins et grecs, comme Duveyrier et d‘autres après lui qui ne firent pas l’effort de reprendre ces textes (Monod 1974).
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