A partir du XVè siècle s’instaure un fort mouvement de lettrés et religieux venus de l’ouest, des Sanhadja de Walata et de Tademekka. Ces personnages professent un islam plus rigoriste et puritain, dont Al Maghili en est un représentant qui passa par Takadda, devenu dès le XIVè siècle un important centre de diffusion spirituel. A la chute de Takadda, Anisaman va prendre le relais mais uniquement sur plan religieux, Agadez prenant le relais sur les plans politique et économique (Bernus et Cressier 1992), puis évinçant définitivement Anisaman au début du XVIIè siècle.
Entre deux royaumes
Les chroniques d’Agadez évoque une résidence du Sultan de l’Ayar, après le palais de Tadeliza et avant celui d’Agadez. Certains évoquent le puits près d’Agadez qui se nomme ainsi, mais on peut aussi y voir le site d’Anisaman. Henri Lhote y a d’ailleurs retrouvé une enceinte assez similaire au palais de Tadeliza, mais plus faiblement fortifiée, comme si la spiritualité du lieu ne l’imposait pas (Lhote 1976 ; Lhote 1988). L’isolement néanmoins de l’édifice en hauteur dans les deux cas les rapprochent également. Le PAU1 n’a pas revu cette édifice dans la ville, très certainement parce qu’il est situé à 2,5 km au sud-est de la petite ville, les images satellites nous le montrant très clairement. Cet épisode se situe dans la première moité du XVè siècle et plus vraisemblablement dans le deuxième quart de ce siècle.
En effet, le Sultan d’Agadez est installé depuis 1405 dans un palais à Tadeliza, sur un promontoire rocheux qui domine le grand oued Telwa, irriguant encore aujourd’hui les palmeraies autour d’Agadez. Ce site est néanmoins à l’intérieur des montagnes et sans doute assez difficile d’accès pour les caravanes commerciales que la nouvelle autorité politique de l’Ayar souhaite contrôler. Les deux sites sont situés à la même latitude à 32 km de distance, mais Anisaman est aux confins de la montagne et de la plaine et donc plus facilement accessible. Un transfert du pouvoir vers ce site semble donc logique et rapproche aussi l’autorité naissante de l’Ayar, des Messufa qui ne souhaite sûrement pas laisser la manne que représente le commerce transsaharien. Mais cette stratégie des Messufa d’amener le pouvoir à soi ne fonctionnera pas, puisque les tribus du pacte construiront quelques années plus tard le palais actuel d’Agadez.
Les Messufa deviennent alors importants dans les domaines de l'enseignement religieux et gardent ainsi un pied en Ayar au cours du XVIè siècle, non loin du Sultanat. Ils s’enrichissent des mouvances soufies venues de l’ouest, et entretiennent aussi leurs relations avec l’Égypte (Cressier et Picon 1995).
La petite ville d’Anisaman ne devait encore n’être qu’un village car à la fin du XVè siècle, al-ʿĀqib b. Muḥammad al-Anuṣammanī al-Masūfī publia un épître sur la nécessité de faire la prière collective du vendredi à Anisaman (Bernus et Cressier 1992). A cette même époque, al-ʿĀqib b. Muḥammad al-Anuṣammanī al-Masūfī rencontre Al Maghili à Takadda. Il fera par la suite son pèlerinage à la Mecque et rencontrera Al Suyuti en Égypte, entretenant ainsi les liens étroits qui existent entre Takadda et le Caire, passage obligé pour le Hajj. Il vécu d’environ 1470 à 1550 (Hunwick 1991). On peut donc penser que la mosquée d’Anisaman identifiée par Lhote, mais non revue par le PAU, fut construite le plus sûrement au début du XVIè siècle, alors que Takadda décline et que le pouvoir agadézien se renforce, marquant ainsi une sorte de contre pouvoir religieux, devenant ainsi le nouveau centre spirituel de l’Ayar. A la même époque la mosquée d’Agadez érige un minaret marquant définitivement le lieu du pouvoir politique en Ayar.
La nisba Aqît se retrouve également à Anisaman, elle aurait potentiellement un lien avec la nisba homonyme de Tombouctou dont le cadi Maḥmūd ben Umar ben Aqit empêcha une persécution sur les juifs de Gao, prônée par Al Maghili après l’assassinat de son fils au Touat (Voguet 2017). Au XVIè siècle, Al Najib al Tigiddani al Anusumani, écrit plusieurs ouvrages de juriconsulte, passa par Tigidda puis Anissaman, il était encore vivant en 1597, ce qui laisse penser que les Messufa avait encore une certaine influence sur la cour du Sultan (Hamani 1989).
Anisaman perdurera très certainement jusqu’au début du XVIIè siècle. L’opposition entre un islam rigoriste de la plaine porté par les Messufa et un islam de la montagne plus égalitaire tournera à l’avantage de ces derniers. Cette opposition se manifeste aussi dans celle qu’entretiennent les touareg de l’Aïr de ceux de l’Ighazer, et qui se conclura par l’éviction de l’Ayar des derniers Messufa d’Anisaman ainsi que leurs alliés Iberkoreyan, autre Isheriffen rigoristes dont les Attawari et Kel Eghlal sont les descendants. Mais cette période, c’est aussi la fin de la période commerciales fastes que connu le Sultanat de l’Ayar avec la fin de l’empire Songhay supplanté par les marocains.
Chronologie
Ces éléments nous permettent donc de brosser la chronologie d’Anisaman. Elle est contemporaine au moins de la fin du royaume de Tigidda et en faisait partie intégrante, puisque les céramiques des deux villes sont très similaires (Bernus et Cressier 1992). Elle accompagne aussi la naissance du Sultanat de l’Ayar au cours de XVè et XVIè siècle qui sera sans doute son apogée en terme de rayonnement spirituel. Mais au début du XVIIè, la période faste du siècle précédent ravive très certainement les tensions entre les oppositions politiques de la région et Anisaman et les Messufa disparaîtront de l’Ayar, les derniers occupants Messufa et Iberkoreyan se déplaçant définitivement vers l’ouest notamment en fondant une autre ville Soufie, In Teduq en Azawagh.
La ville
Aucunes études n’a été entreprises sur ce site, malgré son importance dans la transition entre le royaume de Tigidda et celui d’Agadez. Pourtant le site a été visité en 1950 par Georges Brouin, puis Henri Lhote en 1972 et enfin le PAU au début des année 80.
Georges Brouin trouve une petite barre mince de cuivre ovalaire, de 2,7 cm de long et 1,2 cm de large et 0,5 cm d'épaisseur, pesant 9 grammes. Elle porte 2 séries de 5 stries sur un côté, une de 7 stries sur la tranche. Il peut fort bien s'agir d'une monnaie semblable à celle que décrit Ibn Baltouta (Brouin 1950). Raymond Mauny en fera un poids du système pondéral arabe, équivalent à un double mitkal de 9g (Mauny 1961). Ce morceau de cuivre participe à attester des relations qu’il y avait avec la capitale Takadda.
Henri Lhote décrira par la suite la mosquée d’Anisaman, ainsi qu’un bâtiment qui, du fait de sa ressemblance avec le palais de Tadeliza, lui fera dire que nous sommes en présence de la résidence que le Sultan d’Agadez occupa après Tadeliza et avant Agadez (Bernus et Cressier 1992). Pour compléter, Henri Lhote a donné une date de 1720±80 pour un charbon récupéré sur le site, mais je n’ai pas encore eu accès à sa publication (Calvocoressi et David 1979). On notera néanmoins que la date de 230±80BP, à son calibrage, donne des valeurs potentiellement étendues entre les XVIIè et XIXè siècle, ne révélant donc individuellement pas grand-chose.
Le PAU ne retrouva ni la mosquée, ni le palais, ce qui au vu des images satellites est très curieux car la mosquées est très bien visible. C’est moins étonnant pour le palais qui lui est situé en dehors de la ville. On en est sur car les proportions de Lhote, 20x22 mètres correspondent parfaitement à l’image satellite. Toujours est-il que le PAU esquissa un croquis global de la ville dans son environnement immédiat et le plan de deux bâtiments complexes dont un est observable, l’autre plus douteux.
A partir des images satellites, j’ai pu recenser les portions de murs dans toute la ville. Ce sont près de 2000 mètres de vestiges qui sont encore visibles et sans doute un peu plus sur le terrain. Le croquis du PAU laisse supposer que la ville était un peu plus étendue que ce que l’on peut observer aujourd’hui sur les images satellites. Cela pourrait signifier qu’une partie de la zone d’habitat en pierre a disparu sous l’effet des remaniements imposés par le kori de Tchintaebizguine. D’ailleurs, les deux koris qui se rejoignent au sud-ouest de la ville semblent aujourd’hui beaucoup plus larges que dans les années 80, multipliant ainsi les possibilités qu’ils ont pour divaguer et abraser encore le site. Le cimetière au nord de ce même site est toujours présent ce sont vraisemblablement des tombes de types islamiques dont certaines sont réunies en alvéoles. Enfin, la partie occidentale des ruines commencent à être urbanisée par des constructions récentes en banco mais non encore imposantes.
Par contre, une zone d’habitat en banco, sur la rive droite du kori d’Anisaman, semble avoir totalement disparue sous les divagations de ce dernier ainsi que sous la végétation. Les espaces de prières circulaires et rectangulaires à l’est de la zone urbaine ne sont pas non plus observés, sans doute du fait de leurs petites tailles. Des tumulus dispersés et peu nombreux sur les plateaux rocheux sont observés.
La configuration des restes de structures d’habitat nous montre qu’au nord de la mosquée on est sans doute en face de constructions petites et plutôt serrées, alors qu’au sud de la mosquée les constructions semblent plus massives et même dispersées, délimitant ainsi peut être deux façons d’habiter Anisaman.
1. Programme Archéologique d'Urgence d'Ingall - Tegidda n'Tesemt
Références
Bernus S., Cressier P. 1992 – Programme archéologique d’urgence 1977-1981 : 4- Azelik-Takedda et l’implantation médiévale, Études Nigériennes no 51, IRSH, 390 p.
Brouin G. 1950 – Du nouveau au sujet de la question de Takedda, Notes Africaines, (47), p. 90‑91.
Calvocoressi D., David N. 1979 – A New Survey of Radiocarbon and Thermoluminescence Dates for West Africa, The Journal of African History, 20 (1), p. 1‑29.
Cressier P., Picon M. 1995 – Céramique médiévale d’importation à Azelik-Takadda, Actes de Colloque Céramique médiévale de Rabat, p. 390‑399.
Hamani D. 1989 – Le Sultanat Touareg de l’Ayar : au carrefour du Soudan et de la Berbérie, L’Harmattan, 513 p.
Hunwick J.O. 1991 – Al-ʿĀqib al-Anusammani’s replies to the question of Askias al Hajj Muhamed : the surviving fragment, Sudanic Africa, 2, p. 139‑163.
Lhote H. 1976 – Vers d’autres tassilis: nouvelles découvertes au Sahara, Paris, France, Arthaud, 257 p.
Lhote H. 1988 – « Anisaman » in « Encyclopédie Berbère », , volume. 5, p. 673‑674.
Mauny R. 1961 – Tableau géographique de l’ouest africain au moyen âge, Swets & Zeitlinger, 587 p.
Voguet E. 2017 – Tlemcen-Touat-Tombouctou : un réseau transsaharien de diffusion du mālikisme (fin viii/xive-xi/xviie siècle), Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, (141), p. 259‑279.