cartotheque filmographie photo galerie webgraphie| co2 Agriculture icone43

    Convoitises et conflits entre ressources pastorales et extractives

    Les contraintes auxquelles sont confrontés habituellement les pasteurs nomades (climatiques, politiques, économiques) se sont accentuées à la suite de l’arrivée de nouveaux acteurs qui fragilisent et rendent plus conflictuelle la gestion commune des ressources naturelles. Les acteurs miniers notamment tendent à s’accaparer de vastes portions du territoire, ce qui restreint fortement l’accès aux ressources pour les autres usagers et en particulier pour les pasteurs transhumants qui dépendent de cet espace ouvert et du libre-accès aux ressources pastorales. L’implantation de nouvelles entreprises internationales d’extraction du minerai d’uranium... L’implantation de nouvelles entreprises internationales d’extraction du minerai d’uranium [1][1] Le gouvernement nigérien a attribué 150 permis de prospections..., modifie en profondeur les conditions d’existence du pastoralisme nomade, non seulement par la pression foncière que ces sociétés exercent en général mais, également, par leurs impacts socio-environnementaux et par l’introduction de conditions sociales fortement dégradées de la part de certaines d’entre elles.

    En l’occurrence, il est question dans cet article du cas de l’extraction de l’uranium par la Somina, filiale d’une multinationale chinoise, qui s’est implantée il y a environ huit ans et qui a obtenu deux permis de prospection, dont celui de Teguida, qui comporte trois gisements qui sont exploités depuis 2011. La présente étude est le prolongement d’une précédente analyse qui a porté sur les enjeux miniers et pastoraux dans la région d’Imouraren (Gagnol, Afane, 2010) [2][2] Les données utilisées dans cet article sont issues.... Ces deux cas exemplaires et très similaires montrent que, au moins à l’échelle locale et régionale, la réalité du partenariat gagnant-gagnant promu par ces entreprises est loin de faire l’unanimité, notamment chez les pasteurs nomades et semi-nomades.

    La société chinoise Somina, nouvel acteur de l’extraction minière au Niger

    Face à ses besoins énergétiques accrus, la Chine a récemment lancé un vaste programme orienté vers la recherche de nouveaux gisements miniers, notamment au Niger. De son côté, le gouvernement nigérien a exprimé son souhait de diversifier ses partenaires dans la prospection et l’exploitation des richesses de son sous-sol (Deltenre, 2012). Car, pendant plus de quarante ans, les filiales de la société française Areva en avaient le monopole. Parmi près de 150 permis de prospections d’uranium attribués par l’État nigérien en 2007, deux ont été obtenus par la compagnie chinoise [3][3] En ce qui concerne la prospection pétrolière, les sociétés.... De nombreux dons et prêts ont été accordés en retour par la coopération chinoise (de Hass, 2012).

    Le permis dénommé « Teguida » est situé au cœur de l’Eghazer. Il est l’un des premiers gisements uranifères découvert au Niger par le Commissariat français à l’énergie atomique (CEA) et le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) entre 1956 et 1960 (Grégoire, 2011). Les travaux de prospection réalisés sur ce périmètre par la multinationale japonaise IRSA entre 1975 et 1988 ont estimé les réserves à 6 800 000 tonnes de minerai, soit 15 100 tonnes de yellow cake (concentré de minerai d’uranium). Des études de faisabilité ont été réalisées, mais le contexte économique de l’époque et le cours de l’uranium n’avaient pas conduit à son exploitation.

    La reprise des travaux de recherches initiés par la China National Uranium Corporation (CNUC) a permis la création de la Société minière d’Azelik (SOMINA), née de la convention minière signée en juillet 2007 entre la République du Niger, à travers la société du patrimoine des mines du Niger (SOPAMIN, détenant 33 % des capitaux), et le groupement des sociétés chinoises CNUC et ZXJOY Invest, qui possèdent respectivement 37,2 % et 24,8 % des capitaux, tandis que la société Korea Resources Corporation (KORES), via la société Saris Bury, en détient 5 % (cédés par la société Trendfield Holdings SA créée par le fils de l’ancien président nigérien ayant distribué les permis de prospection) (ROTAB, 2010).

    Le permis « Teguida » comporte trois gisements : deux à ciel ouvert dénommés Guellélé et Teguida, et un souterrain, Eghazer. Les stériles sont entreposés à l’air libre autour de la carrière d’exploitation. Les vents les balayent constamment, chargeant l’air de poussières ; quant au minerai, il est transporté à l’usine de traitement (BEEEI, 2010). L’exploitation a commencé en 2011 (production de 100 tonnes). Pour 2012, la société a produit 200 tonnes et projette d’exploiter 700 tonnes par an à l’horizon 2015 (ROTAB, 2013).

    Enjeux du pastoralisme dans l’Eghazer

    Des ressources pastorales très prisées.

    La zone pastorale de l’Eghazer (écrit parfois improprement « Irhazer ») relève de la commune rurale d’Ingall (ou In Gall), dans la partie désertique septentrionale du Niger. Elle est traversée par un oued important (Eghazer wan Agadez) qui draine les eaux du sud-ouest du massif de l’Aïr. C’est une région de plaines d’épandage qui se distingue par la présence à faible profondeur de nappes phréatiques issues des grès dits d’Agadez et de nappes fossiles artésiennes (Bernus et al., 1999).

    La répartition et la production des pâturages dans l’Eghazer ne sont pas principalement liées à la pluviométrie locale, mais dépendent plutôt des écoulements sporadiques du cours d’eau principal et de ses affluents. Lors de la courte saison des pluies, qui alimentent ces cours d’eau, l’Eghazer renferme de très bonnes potentialités pastorales, sous forme de graminées et de plantes annuelles à haute valeur fourragère. Les pasteurs attachent aussi beaucoup d’importance à la présence de terres et de sources salées qui améliorent l’état de santé et la productivité du bétail (Marty, Bonnet, 1992). La convergence des pasteurs nomades, semi-nomades et transhumants vers ces terres salées pendant l’hivernage (mi-juillet à mi-septembre) est appelée « cure salée [4][4] Devenue une expression consacrée, la « cure salée »... ».

    Zone pastorale par excellence, l’Eghazer est peuplée en majorité par des pasteurs touaregs qui, bien que nomades ou semi-nomades, y habitent toute l’année (Bernus, 1972). Les principaux groupes sont les Kel Fadey, Igdalan, Ihaggaran, Itagan et Igamayan, Issawaghan, Ifarayan et Kel Agharous, ainsi que des Peuls (Bigarawa, Goujawa) venus plus récemment. Phénomène de plus en plus répandu dans les espaces pastoraux (Charbonneau, Gagnol, 2013), la plupart des familles sont mobiles au moins une partie de l’année, tout en possédant souvent une habitation fixe et en dur dans un des petits « villages », qu’ils n’habitent pas tous de façon permanente (Teguida n Tesumt, Azelik, Fagoshia, Teguida n Tagayt, Injitan et Teguida n Adghagh). Estimée à plus de 17 000 habitants (Commune rurale d’Ingall, 2006), cette population locale (Kel Akal, ou « autochtone », comme certains de leurs représentants les désignent), cohabite avec d’autres groupes au cours de la brève saison des pluies, lorsque convergent de nombreux transhumants venant du nord ou de l’ouest (Touaregs Ikazkazan et Kel Agharous du Tamesna) et surtout de la région de Tahoua, Maradi et Zinder au sud du pays : il s’agit de groupes touaregs issus des Kel Gress, Iwellimeden, Kel Ferwan et des Peuls, notamment Woodabé, qui parcourent alors des centaines de kilomètres.

    Entre convergence pastorale et exploitation stratégique au Niger

    L’Eghazer possède plusieurs types de points d’eau : les forages artésiens, les puits cimentés, les puits traditionnels et les puisards temporaires. Les forages et les puits cimentés sont en général l’œuvre de projets de développement ou de l’État (à partir des sécheresses des années 1970 puis 1980). Quant aux puisards et aux puits traditionnels, ils ont été creusés par des particuliers. L’accès aux ouvrages publics (forages et puits cimentés) est libre pour tous les pasteurs. Pour les puits traditionnels et les puisards, la priorité d’accès revient à ceux qui les ont creusés. L’accès des tiers est soumis à l’accord préalable du propriétaire ou ? et cette pratique se développe ? à une redevance en nature (un agneau pour chaque abreuvement ou une vache par an), et parfois en espèces (25 000 francs CFA par semaine, et de 50 000 à 150 000 francs CFA pour la saison, selon la taille du troupeau). La multiplication des puits privés est une rente économique importante qui tend à supplanter l’accès gratuit à l’eau. Par exemple, le prix de l’eau par tête (en francs CFA) aux puits d’Aboy en 2013 se répartit ainsi : camelin (50), bovin (25), asin (25), caprin (10).

    Si l’exploitation des pâturages est en général « libre », fondée sur le principe de réciprocité des droits d’accès, on reconnaît néanmoins à chaque communauté locale un « terroir d’attache », sur lequel elle détient un droit d’usages prioritaires. Cependant, ces dernières années, avec la plus grande variabilité temporelle et spatiale de la pluviométrie et la baisse de la production et de la qualité fourragères, on assiste à une pression accrue sur les ressources pastorales et à de nouvelles velléités d’accaparement privatif.

    Les transhumances

    Le mode d’élevage extensif saharo-sahélien, fondé sur la mobilité du troupeau, permet de s’adapter aux incertitudes de la pluviométrie et de valoriser, sans les épuiser, les modestes ressources fourragères et hydrauliques à la disponibilité aléatoire (Toutain et al., 2012 ; Bonnet, 2013). En années « normales », ces migrations sont réglées selon un calendrier et des itinéraires relativement stables qui obéissent à un cycle annuel. Dans l’Eghazer on peut distinguer les mobilités pastorales locales des transhumances sur de longues distances. La plupart des grands transhumants viennent du sud pendant la saison des pluies. Les transhumants Woodabé, et d’autres Peuls qui élèvent surtout des bovins, se concentrent dans la plaine d’Injtan. La durée de leur campement est de deux à trois jours. Se retrouvent aussi les milliers de chamelles des Kel Gress qui viennent du Nigeria et du sud du Niger. La durée de leur transhumance vers le nord est de quatre à cinq mois en fonction de la libération des champs au sud par les agriculteurs. Leur séjour dans l’Eghazer dure un mois, le reste du temps étant consacré aux trajets. Les pasteurs touaregs (Illabakan, Imghad) qui arrivent de la zone d’Abalak passent généralement quelques semaines, en fonction de la disponibilité de l’eau dans les mares temporaires.

    Les parcours des pasteurs locaux se font autour des villages en saison pluvieuse et dans les oueds en saison sèche. Les itinéraires ne changent qu’en cas de sécheresse ou de raréfaction des pâturages. Par exemple, pendant la saison des pluies, les pasteurs de la partie septentrionale de la plaine (Sikeret, Fichet, Dabla et Aman Tadant) descendent plus au sud dans l’Eghazer. Cette transhumance est rendue d’autant plus nécessaire que l’exploitation minière dans la zone d’Imouraren les a privés de vastes terrains de parcours (Gagnol, Afane, 2010). Il en est de même pour les « autochtones » dans la partie nord-ouest de la plaine de l’Eghazer : en raison de l’exploitation des nouveaux gisements d’uranium d’Azelik, ils ont été obligés de modifier leurs parcours.

    Les conflits pastoraux

    La zone pastorale de l’Eghazer est l’une des dernières grandes concentrations saisonnières de pasteurs nomades au monde (Sidikou et al., 2013). Mais la pression sur les ressources nécessaires à cette activité s’accroît et les tensions se multiplient. Cette situation bouleverse les principes de gestion commune des ressources pastorales. Actuellement, le bon déroulement des parcours transhumants dépend non de la présence ou pas de bons pâturages, ni de terres salées, mais de l’existence de bonnes relations avec les « autochtones » et s’exerce en fonction du statut du propriétaire du troupeau.

    Rencontre des Touaregs et Peuls au puits pastoral de Teguindé

    L’arrivée des transhumants est une préoccupation majeure pour les habitants « permanents » de l’Eghazer. Selon eux, ils dégraderaient les ressources pastorales par une trop forte pression sur les pâturages d’hivernage, tout en fragilisant la constitution de stocks de réserve pour la saison sèche, au détriment des locaux qui pratiquent une mobilité circulaire et qui ne redescendent pas vers le sud. Ces derniers souhaitent donc que ces transhumances saisonnières soient réglementées et restreintes dans l’espace (en étant limitées à la rive droite de l’Eghazer) et dans le temps (durée de présence limitée), pour éviter les conflits entre les différentes communautés. Certains estiment que la date officielle de la cure salée doit être avancée au mois d’août (au lieu de septembre), afin de hâter le départ des grands transhumants, ou alors être retardée pour éviter leur attente dans la zone avant la cure salée proprement dite. Même s’il n’y a aucun moyen d’interdire l’accès à la zone pastorale aux transhumants, puisque la mobilité pastorale est reconnue à travers le code rural et le nouveau code pastoral du Niger, les pasteurs « autochtones » sont appuyés par les autorités locales ? chefferies traditionnelles et mairies ? qui envisagent, en collaboration avec les représentants des associations pastorales de la zone, de définir les modalités de parcours en fonction de la disponibilité des ressources, de réglementer la durée de séjour dans la zone et de mettre en place des structures d’organisation et de gestion des ressources. La communalisation apparaît donc défavorable au maintien de la mobilité pastorale (Gagnol, Afane, 2010).

    Mais, selon les « autochtones » et les transhumants, la question de l’appropriation du foncier pastoral a réellement commencé à être fortement posée il y a quelques années avec la montée en puissance d’un troisième type d’acteurs. Il s’agit de grands éleveurs, qui sont généralement de grands commerçants et/ou de hauts cadres de l’État ayant investi dans la constitution de troupeaux importants et rémunérant des bergers. Contrairement aux pasteurs, ils n’ont pas de logique de capitalisation sur le long terme. Leur activité est fondée sur la rentabilité à court terme de cet investissement : le cheptel est essentiellement destiné à la vente dans les marchés urbains, notamment en Libye, en Algérie et au Nigeria.

    L’avènement de ces nouveaux éleveurs a bouleversé le système traditionnel de gestion commune des ressources naturelles. Les bergers salariés ne sont pas contraints par les affiliations et les organisations pastorales communautaires ou les alliances intercommunautaires et sont peu soucieux du respect des valeurs socioculturelles qui sous-tendent généralement le pastoralisme et la transhumance. Par le biais de relations de parenté ou de clientélisme, ces nouveaux éleveurs bénéficient de complaisances de la part des autorités traditionnelles et des représentants de l’État. Ils instrumentalisent parfois les projets de développement (Hammel, 2006), pour développer leur activité en se faisant financer des puits privés, et ils vont jusqu’à établir des situations d’exclusion avec la mise en place de clôtures afin de s’accaparer l’usage des pâturages. Utilisant des moyens modernes (camions-citernes, véhicules 4 x 4, GPS, téléphone satellitaire), ils se forgent l’image d’« éleveurs modernes » qui seraient plus productifs que le système « traditionnel ». Cette croyance influence d’ailleurs certains chefs traditionnels « autochtones » et surtout le milieu administratif et technique. Pour la population pastorale locale et les grands transhumants, ils représentent une menace en raison de leur pouvoir économique et politique qui leur permet de s’imposer dans l’usage des eaux et des pâturages, au détriment des pasteurs qui se sentent dépossédés de leurs droits d’usage anciens.

    Le morcellement et l’appropriation privative de l’espace pastoral se renforcent avec le fonçage anarchique de puits à caractère privé, donnant de facto un droit d’usage prioritaire sur les pâturages alentours. Ces ouvrages privés sont le fait de riches éleveurs qui n’ont pas de relation directe avec la population, ou d’autochtones voulant s’approprier l’espace pastoral. La multiplication des points d’eau devient une source de litiges, puisqu’aucune aire de pâturages ne peut alors être mise en défens. Il convient de rappeler que l’interdiction de creuser des points d’eau à proximité de certaines aires de pâturage est une technique de gestion traditionnelle qui permet de limiter la surcharge du troupeau sur ces aires pâturables (Thébaud et al., 2006).

    L’imbroglio des ressources dans l’Eghazer : entre convoitise et conflits

    Un autre type d’acteur doit également être mentionné. La dernière rébellion (2007-2009) a contribué à une hausse sensible du banditisme, notamment dans cette région peu peuplée et enclavée. La crainte des bandits (qui volent aujourd’hui autant l’argent et les « cellulaires » que les dromadaires) fait que les pasteurs eux-mêmes ne vont que rarement au-delà de l’Eghazer, vers le nord. Ce cantonnement sur la rive gauche à cause de l’insécurité contribue à l’accroissement de la pression pastorale sur une partie plus restreinte de l’Eghazer et exacerbe les tensions. Par exemple, la mobilité des transhumants peuls est remise en cause dans les zones de Fagoshia et Injitan : soit ils sont chassés lors de leur passage, soit on leur octroie un très court séjour. Les pasteurs arabes ne sont plus les bienvenus dans l’Eghazer. L’assassinat d’un des leurs, en 2010, à Injitan, a ravivé les rivalités intertribales. Certains Touaregs Kel Gress ont préféré changer de parcours depuis le massacre de sept des leurs en 1995. Ceux qui reviennent aujourd’hui ne sont accompagnés que d’une partie de la famille. Les attaques des boutiques des « villages », ou des campements des pasteurs, sont récurrents. Ces différentes violences et la prolifération d’armes légères dans tout le Sahara constituent aujourd’hui une réelle menace pour le mode d’existence pastoral.

    Ressources extractives et conséquences sur le pastoralisme dans l’Eghazer

    Quelques années après la mise en service du complexe minier, la Somina est perçue par les travailleurs et la population locale comme la pire des sociétés étrangères implantées au Niger, à tel point qu’ils la surnomment « Guantanamo ». Les raisons en sont multiples. Elles tiennent tout d’abord à la très grande différence de traitement salarial et de conditions de vie entre les travailleurs nigériens et chinois (ROTAB, 2011), ainsi qu’aux nombreuses entorses faites au code du travail ou aux différentes conventions nationales ou internationales régissant la santé et la sécurité des travailleurs. À l’exception de deux Nigériens qui sont logés avec les Chinois dans la Cité 1, avec des chambres à air conditionné et tout l’équipement nécessaire, tous les Nigériens vivent dans la Cité 2, avec des chambres munies de ventilation (mais sans électricité hors des heures de travail), équipées d’un seul lit ordinaire en fer pour les cadres et de deux lits pour les ouvriers. La Cité 1 est éloignée du site, alors que la Cité 2 est à moins de trois kilomètres de l’usine de traitement des minerais d’uranium. Une situation critiquée par l’ONG Aghir in Man qui milite pour la construction de la Cité 2 loin de la zone d’exploitation afin d’éviter les problèmes sanitaires et la ruée de populations extérieures, à l’image de ce qui s’est produit dans la ville-champignon d’Arlit (créée ex nihilo à partir de 1969 et dont la population dépasse aujourd’hui 100 000 habitants), à proximité des sites miniers des filiales d’Areva.

    Les discriminations salariales sont aussi dénoncées. Un cadre nigérien, ayant reçu sa formation professionnelle en Chine, à niveau de qualification équivalent, a un salaire net qui est plus de quatre fois inférieur à celui d’un cadre chinois, mises à part les indemnités, primes et avantages liés au dépaysement et au travail qui sont délivrés uniquement à ce dernier. Même le salaire d’un cuisinier, ou d’un jardinier, chinois, dépasse de loin celui d’un cadre nigérien. Les avancements et les promotions, ainsi que les prestations collectives (indemnités, restauration) de la société, sont uniquement réservées aux Chinois. Nos enquêtes montrent que les cadres nigériens sont disqualifiés par leur employeur, les laissant ignorants des aspects stratégiques et techniques importants de l’exploitation de la mine. Ils sont parfois affectés à des travaux pénibles (creusage à la main, lavage des salles) qui n’ont rien à voir avec leur profil de formation, et des retenues sur salaires sont faites en cas de refus. Les infractions commises à l’encontre du code du travail, de la convention collective interprofessionnelle et des conventions nationales et internationales sur la santé et la sécurité des travailleurs sont régulièrement constatées, mais peu dénoncées par crainte d’être licencié. Les équipements des travailleurs nigériens sont rudimentaires. Par exemple, leurs seuls équipements consistent en de simples gants en tissu et parfois un casque lorsqu’ils transportent le minerai (l’uranate, yellow cake) dans de simples seaux pour être mis dans des fûts. Les horaires et les rythmes de travail sont dénoncés, de même que les attitudes humiliantes de certains cadres chinois [5][5] Au Niger, on lit et on entend souvent la dénonciation.... Les conditions de vie et de travail sont jugées dégradantes, voire inhumaines. Par exemple, l’eau est disponible deux heures par jour lors du stationnement d’un camion-citerne ; les toilettes sont sans portes et les douches communes ; les ouvriers sont obligés de faire eux-mêmes la cuisine puisqu’ils ne s’accommodent pas de la diète imposée (riz ou pâtes sans sauce) ; les accidents du travail et les décès sont fréquents, tandis que leur prise en charge et leur évacuation peut prendre plusieurs heures.

    Des grèves dures ont éclaté, mais les licenciements abusifs sont fréquents, car la société ne délivre pas de contrats à durée indéterminée aux travailleurs nigériens. La société civile d’Ingall dénonce le manque de recrutement local et de dialogue constructif avec la société civile et les autorités locales (ROTAB, 2010). Face au mécontentement local, la Somina, assurée du soutien des autorités centrales, a fait construire une école et a accordé une aide financière restreinte aux sinistrés de la région lors des inondations de 2012. Mais c’est bien peu face aux critiques qui lui sont adressés par les acteurs de la société civile (GREN, ROTAB, CODDAE, Aghir N’Man, GOSCRAZ) et notamment en ce qui concerne les impacts sanitaires et environnementaux.

    En effet, d’autres raisons de mécontentement tiennent aux conséquences sanitaires et environnementales sur la plaine de l’Eghazer – particulièrement sujette à des ruissellements en nappe – en relevant l’opacité des précautions prises, tant en ce qui concerne les eaux de ruissellement contaminées en provenance du site [6][6] Les différentes mesures de vérification de la teneur... que des eaux usées domestiques de la cité ouvrière. Les habitants de Tiguida n Tesumt avaient hérité d’un puits creusé en 1993 par une société japonaise et dont l’eau n’était pas salée. Situé à 7 km du village, il a été comblé par la Somina en raison d’une trop forte tenue en uranium, sans pour autant être remplacé. Aujourd’hui, pour se procurer de l’eau, des enfants à pieds, ou à l’aide de charrettes, doivent aller à Azelik (13 km) pour, au retour, vendre cette eau à 400 francs CFA par bidon de vingt litres. Rien n’a été fait pour permettre à cette population villageoise d’avoir accès à une eau potable non salée.

    Conséquences sur les ressources et l’activité pastorales

    En ce qui concerne le pastoralisme lui-même, une première conséquence néfaste du site minier est le ruissellement de ses eaux contaminées dans la plaine de l’Eghazer, aux dépens de l’abreuvement des animaux domestiques et de la faune sauvage. Selon le maire d’Ingall, une quarantaine de chameaux, de moutons et de chèvres sont morts en quelques jours en s’y abreuvant (BBC, 20 février 2014). À long terme, l’exploitation de l’eau pour les besoins industriels (8 064 000 m3/an) et pour la consommation de la cité minière (1 500 000 m3/an) fait peser un risque d’épuisement sur la nappe phréatique fossile. Le tarissement de certains forages et sources salées est déjà constaté par les populations pastorales (Sidikou et al., 2013).

    Qui plus est, les droits d’usages des populations locales sur les ressources naturelles nécessaires à leurs activités n’ont pas été respectés. L’exploitation minière nécessitant de grandes superficies, les éleveurs se sont vus soit expulsés, soit interdits d’accès à certaines de leurs aires pastorales et des parcours appréciés en raison de leur teneur en sel sont aujourd’hui inexploitables. Cette entrave à la mobilité du bétail a été l’une des causes de la concentration des pasteurs dans la zone centrale de l’Eghazer. La perte des terrains de parcours pastoraux, dans des terroirs d’attache reconnus par le droit nigérien (décret relatif aux terroirs d’attache de 1997), ne s’est accompagnée d’aucun dédommagement.

    Dans le cadre de la réalisation et de l’entretien de la piste latéritique reliant Ingall à Fagoshia, le creusement de carrières de latérite a produit des mares temporaires qui ont contribué à la modification des parcours et, en saison des pluies, à une concentration des troupeaux ayant pour effet une dégradation accélérée des pâturages aériens (arbres et arbustes). De plus, des animaux et des éleveurs se sont noyés à cause de la profondeur de ces ouvrages et de la texture boueuse des sols.

    L’expropriation de certains sites d’exploitation du sel et du natron à Azelik par la Somina en 2009 n’a donné lieu à aucune compensation financière et a occasionné une marche de protestation des femmes du village, qui se sont rassemblées pour lancer des pierres sur les engins miniers. Malgré les textes officiels, les populations pastorales sont ainsi dépossédées de leurs espaces de vie et de leurs ressources sans indemnisations [7][7] Cette injustice faite aux pasteurs nomades et semi-nomades.... En outre, en dépit de la législation nigérienne qui le prévoit, le rapport d’étude d’impact environnemental n’a pas été rendu public. Il a été rédigé par des experts chinois selon les normes environnementales de la législation chinoise.

    De fait, les zones minières sont aujourd’hui clôturées et militarisées, interdites d’accès aux populations locales. Fonctionnant sur une logique d’extraterritorialité (Magrin, Van Vliet, 2005), il n’existe pour l’instant que peu de mesures compensatoires des effets néfastes sur les populations locales [8][8] La redevance minière qui prévoit une taxe de 15 % des... : pas d’équipements sociaux, d’électrification, de goudronnage des pistes, ni d’accompagnement de l’urbanisation des cités et de l’afflux de populations extérieures à la zone. L’arrivée de demandeurs d’emploi dans la région est vécue comme une menace en termes de changement culturel et du fait de l’instauration d’un mode de vie sédentaire.

    La société minière Areva, rivale de la Somina, a néanmoins annoncé le lancement d’un programme de développement, afin de parer aux critiques et aux revendications tant locales que nationales et de se démarquer de l’entreprise chinoise. Il s’agit de planifier des périmètres irrigués et des « ranchs », précisément dans l’Eghazer, dans le but affiché d’améliorer la sécurité alimentaire du Niger. C’est 5 000 hectares qui devraient être aménagés, et bénéficier à 2 000 ménages. Ce projet ambitieux, mais fort peu adapté au milieu naturel et humain, comme l’ont prouvé des expériences similaires dans l’Eghazer (investissements de la Libye sous l’ère de Kadhafi), contribuera sans nul doute à restreindre la mobilité du bétail et à sédentariser les populations en amplifiant la dynamique actuelle d’appropriation privative de l’espace pastoral. Les populations ont été « sensibilisées », mais certainement pas impliquées, et n’auront probablement pas droit à des indemnisations pour la dépossession de leurs terroirs d’attache et pour les impacts sur les ressources pastorales qui font la renommée et la richesse de l’Eghazer.

    Conclusion

    La région de l’Eghazer est particulièrement riche et complexe du point de vue du patrimoine naturel et humain [9][9] Nous n’avons pas mentionné les dommages probables de..., ce qui en fait une zone conflictuelle aux ressources très convoitées, notamment depuis la mise en exploitation des gisements uranifères par de grands groupes internationaux, dont le sens des responsabilités en matière environnementale et sociale reste véritablement à démontrer pour certains.

    Si le nord du Niger est un milieu d’accueil difficile pour les compagnies minières en raison des coûts élevés liés à l’insécurité et à l’éloignement, c’est en revanche plus avantageux du point de vue des responsabilités sociales et environnementales, puisqu’en la matière, les contraintes à respecter sont moindres et/ou contournées. L’exemple de l’exploitation de l’uranium au Niger, montre que les améliorations consenties en matière de responsabilité sociale et environnementale par les sociétés extractives chinoises (Magrin, Van Vliet, 2012) ont été relatives. Il en est de même d’ailleurs au Tchad, où la production de pétrole de la filiale de la CNPC a été stoppée temporairement par l’État en raison de « violations flagrantes des normes environnementales », mais aussi ailleurs au Sahel (Antil, 2014).

    Cet article a mis en lumière la multiplication des tensions qui se cristallisent autour de l’accès aux ressources naturelles dans un contexte de pression foncière. Les tensions se font d’autant plus vives que les stratégies déployées par les acteurs consistent à accaparer les ressources à leur profit et à restreindre l’accès aux autres, notamment aux plus mobiles qui sont aussi les plus vulnérables car les moins armés juridiquement et politiquement. De fait, l’accaparement des terres pastorales collectives pour les convertir à d’autres usages (agricoles, miniers, touristiques, réserves naturelles ou de chasse, ranching) est une cause ? largement sous-estimée ? de certaines situations de tension, voire de conflit, en Afrique. Plus généralement, c’est la question de l’accaparement des terres agricoles (Chouquer, 2012) qui doit être élargie aux terres pastorales. Face à l’intensification des investissements privés, les enjeux de la « sécurisation » de la mobilité pastorale et de la reconnaissance institutionnelle de la gestion commune des ressources naturelles sont plus que jamais d’actualité. Il en va des conditions de survie d’un système pastoral semi-nomade et transhumant qui garantit l’exploitation durable d’un milieu désertique fragile, aux ressources variables dans le temps et l’espace, et qui profite, non sans conflits, à des communautés qui y vivent de façon plus ou moins permanente ou transitoire.