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    Eau et Uranium dans la plaine de l'Ighazer

    Depuis des millénaires les populations nomades du Néolithique fréquentaient l’immense plaine de l’Irhazer où elles faisaient pâturer leurs animaux le long des parcours jalonnés de point d’eau. Après l’épopée libyco-berbère des Garamantes, ce sont les Touaregs, les Peulhs et plus tardivement les tribus arabes Kounta qui se déplacent dans cette immensité où ils trouvent et gèrent traditionnellement les ressources.

    Nécessaires à l’économie pastorale

    Les puits et les sources qui captent l’aquifère des grèsd’Agadez servent de points d’abreuvement pour leurs troupeaux. Pour les animaux de l’ensemble du Niger, cette région est très importante. Chaque année, après l’hivernage, ils font des milliers de kilomètres, depuis le sud, pour venir brouter l’herbe nouvelle et boire l’eau chargée de natron. Ce régime alimentaire et cette transhumance structurelle sont tout à fait bénéfiques pour la santé de l’animal et son engraissement. Ce moment annuel d’échanges culturels et de fêtes dure deux à trois mois et rassemble les 2/3 du cheptel nigérien : c’est la cure salée.

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    Les contraintes du milieu

    L’aquifère des grès d’Agadez, seule ressource en eau de la région, est fossile. Les datations au carbone 14 de ses eaux (1) révèlent que la dernière recharge s’est déroulée au cours du dernier humide néolithique il y a 3000 ans environ, à la fin de l’époque paléoclimatique du Nigéro-tchadien. Depuis, le réservoir se vide inexorablement et d’autant plus rapidement que la ressource est de plus en plus fortement sollicitée par l’octroi anomique de concessions minières.
    Jusqu’alors, la ville d’Agadez pompait ses besoins dans la nappe contiguë de l’oued Téloua qui bon an mal an se rechargeait annuellement avec les pluies de mousson. Ce choix correspondait à une démarche éthique en hydrogéologie : n’utiliser les eaux fossiles qu’en dernière extrémité. Mais avec l’accroissement démographique (150 000 habitants) et surtout à cause du changement climatique, la ressource renouvelable est devenue insuffisante.

    Depuis 2006, la ville a été contrainte de déplacer son approvisionnement en eau de 35 km vers l’Ouest et de puiser 8000 m3 par jour dans l’aquifère des grés d’Agadez. 

    La surenchère du pillage

    Sous l’ère du général/président Kountché, début 1970, se mettait en place un projet d’hydraulique pastorale dans la plaine de l’Irhazer : soit une vingtaine de forages dans la zone artésienne de l’aquifère. Mais des négligences, l’absence de suivi et d’entretien des infrastructures ont provoqué la ruine des équipements et la fuite annuelle de plus de 1,5 millions de m3 d’eau qui se perdent par évaporation.
    Malheureusement, cette région regorge d’uranium et par la suite vinrent les projets miniers dont le comportement se résume à « prendre et partir ». De plus le pillage anomique de la ressource minière (charbon et uranium) s’accompagne de celui de la ressource en eau au détriment du développement durable notamment touristique et pastoral, car la ressource n’est pas renouvelable.

    Ce sont par exemple :

    - 10.000 m3/j qui sont prélevés à Rharous, depuis 1980, pour les mines de charbon et la ville de Tchirozérine,
    - 20.000 m3/j, prévus par la COGEMA, pour la nouvelle exploitation uranifère d’AREVA à Imouraren,
    - 4000 m3/j pour la mine d’uranium d’Azelik qui est maintenant en début d’exploitation par une compagnie chinoise.

    De plus, les sociétés COMINAK et SOMAÏR respectivement dans les villes d’Akokan et d’Arlit ont déjà épuisé à 70% l’aquifère carbonifère plus au nord du Tarat, à raison de 22 000 m3/j depuis 38 ans. Maintenant elles manquent de ressources en eau et elles envisagent d’utiliser un pipe line de 30 km et de déplacer leurs pompages vers l’ouest c'est-à-dire…. dans la
    nappe des grès d’Agadez !

    Les permis de recherche et d'exploitation d'uranium récemment délivrés par le ministère de l’Energie et des Mines de Niamey vont également contribuer à des ponctions irréversibles. Le pillage risque de s’accentuer. A la fin de la décennie 70, une étude du BDPA identifiait la possibilité d’irriguer 38 000 hectares dans la plaine de l’Irhazer. Ce nouveau pactole a excité les convoitises géopolitiques du guide suprême M. Kadafi qui proposait récemment de financer la mise en valeur céréalière de la plaine à l’aide d’une quantité phénoménale d’eau naturellement puisée dans la nappe des grès d’Agadez. Mais ceci fait fi des facteurs pédologiques et climatiques propres à la région : les sols sont ici riches en natron (bicarbonate de sodium), l’eau est bicarbonatée sodique et de plus, l’évaporation est extrêmement forte. Tout ceci risque de déboucher sur une augmentation de la salinité des sols et de leur dégradation. 

    Une gestion surprenante

    Pourtant, depuis longtemps il y avait lieu de s’inquiéter de l’avenir de la région. Dans son rapport de 1990 « Etude prévisionnelle d’exploitation de la nappe des grès d’Agadez par modèle mathématique », le projet NER/86/00 du PNUD et du ministère de l’Hydraulique et de l’Environnement du Niger, s’alarmait des conséquences irréversibles, sur la nappe, des prélèvements prévus sur le court et moyen terme.
    La gestion quantitative de l’eau n’est pas vraiment une préoccupation des sociétés et des autorités publiques du Niger. Dans une région où l’eau est rare, un comportement éthique consisterait à l’économiser pour les générations futures. Or, en instaurant la gratuité de l’eau pour les résidents des villes minières, les responsables miniers ont provoqué une surconsommation inutile et irresponsable. La gabegie est telle qu’un habitant prélève en moyenne 500 litres par jour soit 5 fois la consommation d’un européen.

    Mais ces sociétés ne s’intéressent guère plus à la qualité des eaux. A Arlit, à Akokan comme à Tchirozérine, les eaux dites potables sont probablement contaminées par les nitrates résultants des tirs de mine qui utilisent la nitroglycérine et le nitrate d’ammonium comme explosif. Par ailleurs, par mesure d’économie, les eaux usées des égouts sont directement utilisées pour l’irrigation et la typhoïde est devenue endémique dans la région. 

    Quel avenir ?

    Avec un prélèvement actuel de 25 millions m3 par an (mais non exhaustif compte tenu de l’accélération de la délivrance des permis d’exploitation de l’uranium, du futur projet des salines de Tédikelt, des projets pharaoniques d’irrigation…), on peut s’attendre au dénoyage complet de la partie ouest de l’aquifère et à la chute drastique du niveau piézométrique du coté oriental.
    Les points constitutifs du réseau d’abreuvement du bétail pastoral puits et sources (cure salée) seront asséchés et les éleveurs privés d’eau. Le tarissement général privera les villages de tout approvisionnement. De plus à l’ouest et vers le sud à In Gall, des dépôts importants de chlorure de sodium du Jurassique risquent de se déverser dans la nappe d’eau douce par inversion de gradient.
    Mais les compagnies minières ne s’inquiètent pas de cette catastrophe annoncée car les gisements d’uranium auront été également épuisés et la région ne présentera plus d’intérêt pour elles et leurs actionnaires. Leur départ sonnera le glas du développement, la fin de l’économie pastorale (qui est la deuxième du pays, soit 11% du PIB) et celle du tourisme : deux des savoir-faire autochtones. Si les pouvoirs publics nigériens ne réagissent pas rapidement, dans un avenir proche, la ville d’Agadez, capitale et sultanat de l’Aïr, sera désertée par manque d’eau et toute forme de développement humain et touristique abandonnée.

    Curator emeritus

    Article extrait de La malédiction de l'uranium - Le Nord-Niger victime de ses richesses - Tchinaghen Editions - 2008

    (1) Analyses effectuées par l’AIEA de Vienne